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L’asservissement automatique des consciences
hésitantes par le Vampire
Dans la nouvelle La pelleteuse (déjà citée à propos de l’usage
stratégique du handicap et du déni de mérites), les mauvais traitements
psychologiques et physiques infligés à Michelino par le professeur de
dessin, au lieu de susciter en sa faveur un mouvement de solidarité de la
part de ses camarades, provoquent son isolement et son exclusion hors du
milieu social de la classe, laquelle, entre un innocent injustement
persécuté et une autorité tyrannique, choisit sans hésitation cette
dernière.
Un nœud trop gros s’agrégea dans la gorge de Michelino, qui
commença à pleurer en se couvrant les yeux des mains et en tressaillant
en silence. A côté de lui, Santovito, rouge comme une tomate et le
visage contracté d’embarras, agita un instant la main à mi-hauteur,
comme pour tenter par ce geste de secourir son ami, mais il se retint,
amortissant son geste en un improbable mouvement de dégourdissement des
doigts. "Je m’occupe de faire rentrer cela en ordre", tonna
Accardo. Le visage empourpré, [...]Accardo, en deux bonds, se retrouva
près du banc de Michelino, il lui saisit une oreille et commença à la
lui tordre méthodiquement, la moulinant au-delà des limites du
supportable, jusqu’à ce que Michelino n’émette un cri. [...] Les
sanglots du garçon, qui ne laissaient de place à aucune parole, [...]
décidèrent le professeur à poursuivre encore plus avant. Traînant
Michelino par l’oreille encore serrée et tordue, il le fit lever, le
conduisit près de l’estrade et, comme un justicier qui s’apprête à
exécuter un condamné, le fit brutalement plier à genoux, face au mur.
[...] On était le jeudi suivant cette scène. Dans le courant de la
semaine, les yeux de Michelino avait du soutenir l’humiliation de la
rencontre avec le regard de ses camarades, lesquels lui avaient dénié
tout type de commentaire, l’évitant et l’isolant comme si s’était
révélé en lui, ce jeudi matin-là, dieu sait quel vice infâme.
Personne, à part Santovito, ne le saluait plus en premier, bien au
contraire ils répondaient à son salut presque agacés, comme si, au lieu
du "salut" d’un camarade, ils avaient reçu les sollicitations
d’un type équivoque en quête de monnaie. Quand ensuite, distraitement,
quelqu’un se surprenait à lui adresser la parole ou à rechercher dans
sa direction un regard d’approbation pendant les histoires drôles
racontées en groupe, réalisant sa gaffe, il était pris d’embarras et
détournait le regard, comme une fille qui s’apercevrait qu’elle a
demandé une information tout juste à l’homme qui peu auparavant lui a
adressé un compliment ignoble.
L’usage d’artifices vampiriques, pour apaiser les tensions à
travers l’humiliation des innocents, est une menace sociale aux
proportions catastrophiques. Une part de la société, embusquée comme
elle est dans la re-évocation du schème archaïque du chantage affectif,
fera toujours le jeu du Vampire, répétant à l’infini le choix
compulsif de la préférence aux tyrans et du sacrifice des innocents à
une exigence supérieure: satisfaire les frustrations et les bas instincts
de celui qui ne sait pas sortir de son propre mythe.
En sacrifiant les innocents au pouvoir de quelque Vampire
"social", les consciences hésitantes répètent, comme en une
contrefaçon blasphématoire de la Messe, le rituel de leur propre
sacrifice, qu’ils firent un jour au Vampire "affectif".

Le triomphe social du Vampire comme résultat de la solitude affective de
la société
Le fait d’avoir vécu par le passé dans des conditions de chantage
affectif détermine, dans une partie du substrat social, un état de
solitude qui donne souvent lieu à des choix irrationnels et injustes,
aussi bien dans des domaines qui ne mettent en jeu aucun investissememt
affectif.
Ainsi, il sera loin d’être exceptionnel qu’un employé soit animé
d’une admiration intime pour un patron sournois, escroc (dont il
aspirera peut-être à devenir le bras droit), et inversement, quand il
aura affaire à un employeur honnête et scrupuleux, qu’il le
sous-estime et le trahisse, donnant vie à la plus facile des "frondes"
et à la plus vile des rebellions contre lui.
Cette même tendance, poussée à ses plus extrêmes conséquences,
explique pourquoi, à de nombreuses reprises dans le cours de l’histoire,
on a préféré le recours à la dictature à une proposition de gestion
démocratique de la vie publique. La démocratie ne requiert en effet que
le respect de simples règles; la dictature, au contraire, soumet le
peuple au même chantage auquel il s’est soumis dans tant de liens
affectifs, substituant à la dispense d’affection un traitement de
faveur concédé par le parti.
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