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Altérations psychologiques et physiques chez les
enfants victimes de Vampires
La plus lâche des agressions vampiriques, celle contre les enfants,
peut occasionner des dommages psychologiques qui se répercuteront sur
tout leur univers de choix, d’actions, et d’initiatives futures.
Un enfant soumis à un chantage affectif par un parent-Vampire qui lui
nie toute dignité et impose son propre pouvoir risque de perdre contact
avec la réalité et de devenir une proie aisée pour quiconque voudra,
par la force, lui imposer sa façon de voir.
Une fillette avec une mère-Vampire qui, voulant avoir son attention
exclusive, prétend démolir à ses yeux la figure de l’autre parent,
risquera d’avoir de graves difficultés à entretenir des rapports sains
et équilibrés avec le sexe opposé, qu’elle aura tendance à
dévaloriser et idôlatrer contemporainement, parce que d’un côté elle
aura été contrainte à mépriser le père (c’est-à-dire le premier et
plus important homme de sa vie), de l’autre elle n’aura jamais cessé
de l’aimer, même si en secret et avec un sens de l’interdit et de l’illicite
qui se reflètera sur tous ses choix sentimentaux. Naturellement, la
symétrique sera également vraie (père-Vampire qui dévalorise la mère
aux yeux d’un garçon).
Un parent-Vampire qui décide, incapable d’aimer un de ses enfants à
l’égal d’un autre, de masquer son désintérêt pour le moins aimé
en lui réservant un traitement hyperprotecteur, avec de lourdes nuances
de commisération, risquera de provoquer chez lui une tendance à se poser,
sa vie durant, comme une personne structurellement incapable, pleine de
bizarreries et de frustrations, et réclamant des attentions paradoxales.
La nouvelle La 1100 Belvedere, met en
évidence deux autres aspects de l’agression vampirique à l’encontre
des enfants. Au centre de la nouvelle, l’histoire d’un enfant,
coupable d’avoir découvert un secret de famille qu’il ne devait pas
découvrir, qui est brutalement privé de la dignité dont il pouvait
jouir auparavant, et confiné à une dimension d’"étrangeté"
et de discrédit permanent, destinée à déconsidérer ses affirmations
"fantaisistes". Ce qui provoque chez l’enfant, outre une
série d’altérations de ses caractères somatiques et comportementaux,
une gêne digestive récurrente et humiliante qui surgit toujours en
présence d’un personnage-clef du secret, le docteur Maggi.
Nous leur rendions visite en été dans une grande maison de campagne,
entourée de nombreux figuiers et pêchers. Des tas de broussailles tout
autour de la maison. Une fontaine à sec [...]. Sa femme mettait le
couvert sur une table en bois sous la pergola et ils mangeaient et
buvaient là. Moi, je ne mangeais presque rien parce que ça me donnait
envie de vomir. Maggi me traitait comme si j’étais un petit sot. J’en
avais un souvenir vague et terrifiant, parce qu’il me donnait le
sentiment d’être inexistant. Sa femme était plus gentille. Elle
semblait accepter l’existence de tous. Y compris la mienne, avec une
dévotion qui la poussait à me préparer l’unique chose que je pouvais
tolérer en ce lieu: la bruschetta. Une fois pourtant, elle la prépara à
l’ail; je détestais l’ail, mais je la mangeai malgré tout, parce que
je ne voulais pas paraître benêt au point de lui faire refaire. Je me
souviens d’avoir tout mangé, et l’envie de vomir me prit avant même
de l’avoir finie. Je me retins et fus pris de mal de tête. J’errai
tout l’après-midi dans le jardin, les tempes comprimées par un étau d’acier.
Plus tard, alors qu’ils étaient à l’intérieur à préparer le
dîner et que les premières odeurs commençaient à parvenir, je me mis
à courir et réussis à arriver à la fontaine asséchée avant de me
décharger de la mixture de bruschetta jamais digérée. Je parvins même
à diluer la preuve de ma honte en remplissant plusieurs fois un arrosoir
rouillé que j’avais trouvé dans les parages, et en en vidant le
contenu sur mes rejets, jusqu’à les rendre quasiment méconnaissables.
L’odeur, âcre, se sentit pourtant. Tout fut découvert et la dame me
prépara une légère soupe aux vermicelles, que je ne refusai pas, me
bloquant de nouveau l‘estomac au risque de faire encore une piètre
figure. Quand il me dit bonsoir, Maggi m’adressa un "salut, jeune
homme", avec ses yeux qui ne souriaient jamais, et moi je savais que
m’appeler "jeune homme" était sa façon de me rappeler que
selon lui, je ne le deviendrais jamais, qu’à jamais je serais resté le
microbe que j’étais.
Le parent-Vampire (ou quoiqu’il en soit, le membre de famille-Vampire,
l’enseignant-Vampire, la baby-sitter-Vampire, bref, une autorité
affective-Vampire) ne réussit pas à comprendre que les enfants ne sont
pas des objets achetés ou loués, ou obtenus en gérance de qui les
élève et en prend soin, mais sont des êtres libres, innocents et sans
aucun doute bien plus dignes et divins que nous autres adultes; des êtres
qui nous ont fait l’immense honneur de nous rendre visite, nous
demandant seulement d’être élevés, aimés et aidés à vivre
dignement. Quelque idée, religieuse ou laïque, que l’on professe, on
ne pourra pas ne pas admettre que les innocents sont les plus sacrés des
êtres de la terre et que leur fragile condition doit être défendue et
protégée par tous les moyens du danger des prédateurs. Tomber d’accord
là-dessus représente déjà un bon point de départ pour créer un front
contre le vampirisme.

Plaisir de la condescendance
La tendance masochiste à être agréable au Vampire se répète dans
tous les schémas d’agression possibles. La présence envahissante du
Vampire, sa charge négative, sa soif de sang, son haleine lourde et âpre
sont des éléments psychologiques tellement pénibles et écœurants que
pour les supporter, on ne peut souvent faire autrement que de tenter de
les atténuer, à travers leur transformation en une espèce de plaisir.
Un plaisir masochiste, évidemment, qui va parfois jusqu’à prendre les
traits d’une sorte d’honneur à avoir été pris pour victime.
Cette issue terrible de l’agression vampirique peut affecter autant
la sphère affective que des relations professionnelles, d’affaires, de
politique. Il est arrivé au moins une fois à beaucoup d’entre nous de
nous trouver devant une personne à l’honnêteté pour le moins douteuse
mais entourée d’un halo de pouvoir, et d’éprouver contemporainement
un sentiment d’étrangeté répugnante et de disponibilité ardente à
lui être agréable par tous les moyens. Son besoin de dominer les autres
émane de lui comme une odeur. Il a alternativement des attitudes
destinées à nous faire sentir notre nullité par rapport à lui, et d’autres,
plus débonnaires et humaines. Avec ces dernières se referme le piège.
Il suffira d’un sourire, d’un signe de connivence, d’un geste
familier de sa part pour nous faire vibrer d’une émotion aliénée,
mystérieuse, qui nous poussera à adopter un comportement et accomplir
des actes emprunts d’une totale condescendance à son égard. Lui être
agréable sera pour nous le plus grand des honneurs.
Qu’il s’agisse d’un Vampire-chef de bureau, PDG, homme politique,
chef d’une junte militaire qui a pris le pouvoir par un coup d’état,
d’un oncle puissant qui peut nous obtenir une recommandation, d’un
petit chef de quartier, de ruelle ou de bar, d’un agitateur qui organise
des rixes au stade ou d’un homme qui veut agrandir la collection des
femmes qu’il a possédées, cela fera très peu de différence. Face à
un Vampire, toutes nos belles idées et nos valeurs humaines, civiles et
politiques risquent de faire naufrage, dans un bourbier duquel il ne sera
pas facile de sortir sans recourir à quelques acrobaties morales, pour
pouvoir continuer à nous regarder dans une glace.
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