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Opposer les sentiments de l’homme au sentimentalisme
du Vampire
Les sentiments, dans le monde des non-Vampires, sont des choses simples
et sans équivoque. Il n’en va pas de même dans le monde des Vampires,
lesquels tenteront toujours de traiter tout sentiment, outre comme quelque
chose d’inutile, comme quelque chose d’étrange, de compliqué et d’indéchiffrable.
Rester au contact de ses sentiments ne veut pas seulement dire
éprouver de grandes passions ou s’émouvoir facilement, comme
voudraient nous le faire croire les Vampires, pour pouvoir nous mépriser
plus à leur aise, cela peut au contraire vouloir dire tant d’autres
choses: répondre aimablement à quelqu’un qui est aimable avec nous, et
avec reconnaissance à quelqu’un qui nous a donné quelque chose de
façon désintéressée; chercher à offrir des occasions à celui qui n’en
a pas, être tolérant envers celui qui se trompe de bonne foi, savoir
voir un mérite et le récompenser par sa reconnaissance, même symbolique,
mais aussi réelle que le mérite lui-même; sonder l’âme humaine,
savoir y apercevoir les signes d’honnêteté et agir en conséquence; ne
pas hésiter, même un instant, à tout faire pour sauver une vie et ne
jamais tolérer que des violences soient perpétrées contre des innocents;
et encore tant et tant d’autres choses du même ordre.
Le jour où nous nous réveillerons sans sentiment, nous serons déjà
des Vampires. Malheureusement, depuis que nous sommes petits, nos idées
sur la question sont confuses, au point qu’il devient pratiquement
impossible de distinguer entre sentiments et sentimentalisme. Le
sentimentalisme est une contrefaçon du sentiment, qui tend à créer des
concepts pétris de rhétorique, justement parce qu’ils sont vides de
contenu. Sentimentalisme sera par exemple l’idéalisation des "beaux
jours envolés", ou l’adhésion irréfléchie et romantique à une
soi-disant "foi" (avec une vaste gamme de variables qui peuvent
aller de l’attachement à un concept rasciste ou ultra-nationaliste
jusqu’au fanatisme aveugle autour d’un club sportif), ou bien la
mystique du "pauvre de moi", qui dissimule souvent, derrière la
fausse grimace de douleur de celui qui se pose en victime, des objectifs
égoïstes et vampiriques.
Le sentiment au contraire est ce qui, associé avec sagesse à l’usage
de l’intelligence, suggère à deux parents la façon de faire de leurs
enfants des êtres libres, ou porte un peuple à se rebeller contre un
tyran et à l’emporter, ou produit les grandes intuitions humaines, qu’elles
soient philosophiques, littéraires, religieuses ou scientifiques. Autant
de choses qui n’admettent aucun substitut. On peut dire que le sentiment
est le tapis volant qu’on trouve dans les fables: un objet mince, tendre,
flexible, sans rien de rigide, ni voile ni moteur, ni mécanisme ni
trucage dissimulé, mais prodigieusement agile et capable de nous porter,
qui sait comment, jusque dans les étoiles.
Comme nul ne l’ignore, la réalité dans laquelle nous vivons augure
mésaventure à toute personne qui serait assez imbécile pour rester en
contact avec ses propres sentiments. Notre pire ennemi, en définitive,
est justement celui qui - Vampire ou non - nous enjoint de nous endurcir,
de ruser, de laisser de côté nos scrupules, de jouer du coude pour nous
faire notre place, d’aduler les puissants et de mépriser ceux qui ne
peuvent nous assurer aucun avantage tangible. Cette mentalité crée les
pires défaillances et prépare les conditions qui nous feront devenir
Vampire ou victime prédestinée des Vampires. Cette seconde issue n’est
absolument pas rare. Il n’est pas du tout certain en effet que tous ceux
qui ont été élevés à coups de "sois plus sournois que les autres"
finissent Vampires. Chez les êtres humains existent des capacités
de résistance au gouffre vampirique qui échappent à tout contrôle et
à toute maligne initiative. Celui qui a la chance d’avoir en lui ces
prodigieuses ressources pourrait non seulement se sauver de la condition
vampirique, mais l’emporter avec facilité sur tout Vampire qui dût l’approcher.
A condition pourtant qu’il ignore le message enregistré qui lui
répète "roule les autres ou tu seras roulé", et autres
stupidités du genre. Même le plus sage des hommes en effet, tiraillé
entre deux modèles de vie l’entraînant dans deux directions opposées,
cèdera à un état de conflit permanent et de confusion, et dans la
meilleure des hypothèses passera sa vie à se demander ce qu’il serait
juste de faire, sans jamais atteindre de conclusions définitives.

Le sens de la justice comme arme invincible contre le Vampire
Le sens de la justice (c’est-à-dire la clef du secret pour savoir
"faire la chose qui est juste") est l’inestimable patrimoine
de celui qui a réussi à ne pas sacrifier ses propres sentiments à l’autel
d’une culture de l’ignorance prétendant avoir tout compris de la vie.
C’est une arme d’une puissance formidable, qu’on ne peut arrêter.
Apprendre à utiliser une telle arme signifie ne plus jamais succomber au
Vampire, sous quelque forme qu’il se présente. Qui la possède est un
peu un Jonathan Harker ou un Arthur Holmwood ou un Abraham Van Helsing de
l’an 2000: en somme, c’est un héros du Dracula de Bram Stoker
désigné par le destin pour délivrer notre monde du monstre.
Dans la nouvelle plusieurs fois citée Samuel Serrandi, Massimo entreprend une enquête dans la maison de
son ami Luigi Limandi pour tenter de comprendre les causes de son
mystérieux suicide. Quand finalement il réussit à reconstruire les
faits et à conclure que le responsable moral de la mort de son ami est l’ecroc
de Serrandi, il se retrouve en proie à un mystérieux sentiment qui mêle
aussi bien son affection et son respect pour son ami mort, que la juste
appréciation de l’inhumanité de Serrandi. Dans un premier temps
convaincu que c’est là de la haine, il se rendra compte plus tard qu’il
s’agit d’un sens de la justice, qu’il définira comme un "instinct
de conservation de l’espèce des innocents".
Massimo commença à éprouver un sentiment fondamental qui montait des
profondeurs. Il ne s’agissait ni d’exaspération, ni de dédain, ni de
solidarité. C’étaient là des expressions de journaux télévisés.
Vides. Elles n’exprimaient rien que la rhétorique rebattue d’une
société qui ne parvient pas à éprouver de sentiments, et en
remâchonne alors des contrefaçons pleines de maniérisme. Non: ce qu’éprouvait
Massimo à ce moment là était une chose bien différente. C’était un
sentiment innocent à en sembler diabolique, naturel à en sembler
dépravé, humain à en sembler bestial. C’était de la haine. Et alors
que les structures qu’il avait intériorisées, de l’éthique, du bon
sens, de la religion, de la loi, de la civilité martelaient contre lui
leurs slogans condamnatoires, il était rivé à cette terrible découverte
que la haine n’est absolument pas le contraire de l’amour, mais une
dramatique phase défensive pour arriver au pardon, et de là à l’insaisissable
amour pour son prochain. Prochain qui dans ce cas précis s’appelait
Samuel Serrandi. Docteur Samuel Serrandi. Une lumière glacée dans les
yeux, il se préparait à attendre. Parmi les potentiels clients des
indispensables "programmes spéciaux d’édition éléctronique",
il était là, lui aussi.
[...] Il avait résisté, soutenu par le mystérieux sentiment qu’il
avait dans un premier temps appelé haine, mais que depuis quelques heures
il avait avec plus de justesse commencé à définir comme un "instinct
de conservation". Conservation de l’espèce des innocents, qu’il
valait peut-être la peine de considérer protégée, comme certaines
espèces animales, parce qu’elle aussi en voie d’extinction. Les
Serrandi ne sont pas seulement aux Limandi ce que sont les chasseurs aux
chevreuils, car dans la lutte entre les Serrandi et les Limandi, les
premiers peuvent jouir d’un public en théorie hostile, mais de fait
tolérant, sinon tout à fait amical. C’est aussi pour cette raison que
Massimo n’avait parlé à personne de sa découverte. Pour ne pas
exposer Luigi à une honte que sa mort elle-même aurait entérinée au
lieu d’atténuer (il imaginait déjà les commentaires des amis et des
collègues: "Eh ben, il est vraiment abruti pour s’être fait avoir
de cette façon"... "Il l’a vraiment cherché..." "C’est
à ajouter au livre des records: la mort la plus crétine du siècle...");
mais également pour ne pas transformer la fourberie de Serrandi en une
espèce de mythe, il se peut négatif, mais cependant toujours un mythe,
au regard de l’imbécillité de Luigi; et pour ne pas lui laisser ne
serait-ce que l’honneur d’avoir été le bourreau sournois d’un
condamné bêta.
Tout juste grâce à son sens de la justice et au fait que ses
sentiments ne soient jamais morts, Massimo, après une éprouvante guerre
de nerfs, réussira à vaincre le Vampire et à dénoncer publiquement,
dans les colonnes de son journal, le trafic louche tournant autour de l’activité
de celui-ci, même s’il devra pour cela affronter la réaction obtuse et
embarrassée d’une société qui a beaucoup en commun avec ce Vampire.

Ne jamais oublier qu’il existe une force supérieure au Vampire
Plusieurs nouvelles de Corte ont en commun la présence d’un
élément mystérieux, inexplicable, miraculeux, qui éclaire tout à coup
la scène d’une lumière surnaturelle, évoquant des profondeurs de l’âme
des sentiments dont les hommes ont de tout temps été familiers, mais qu’ils
oublient, ou suppriment complètement, convaincus de leur inutilité ou
pire, de leur perniciosité. Ces histoires trouvent donc leur dénouement
dans un événement prodigieux qui, bien que préfiguré et d’une
quelque façon "écrit" dans leur trame ou dans la personnalité
des protagonistes, se réalise sur un mode quoi qu’il en soit inattendu,
qui détermine le salut de qui a mérité d’être sauvé.
Le sujet, comme on peut le deviner, est délicat, parce qu’il touche
les convictions personnelles de chacun à l’égard du Mystère. Nous
nous limitons pour notre part à signaler que les nouvelles en question
sont La
réunion, que vous pouvez lire intégralement en suivant le link
du titre, et les trois histoires La 1100 Belvedere, Expositio ad
bestias et Dansant
avec elle.
Nous vous invitons seulement à les lire, en ajoutant que selon nous,
personne, sur cette terre, ne peut prétendre à l’absolu monopole du
Mystère et que, quelle que soit la chose à laquelle l’on choisisse de
croire, admettre que dans la vie des hommes le Mystère existe est
toujours une occasion incomparable de grandir humainement et
spirituellement, et une façon de se sentir de nouveau humble face à
quelque chose qui, par le seul fait d’échapper à notre compréhension,
est déjà plus grand que nous.
En particulier Dansant avec elle nous suggère que quelle que
soit l’horreur qui se présente à nous, la plus implacable de toutes
comprise, la Mort, il y a dans l’univers une force supérieure à tout
monstre, visible et invisible, qui rôde parmi nous. En présence de cette
force il n’est pas de Vampire qui n’en reste aveuglé. Celui qui,
comme le protagoniste de la nouvelle, aura choisi de ne pas entrer dans
les rangs des Vampires, recevra le don le plus grand, celui que depuis des
milliers d’années les hommes demandent à leurs dieux: la preuve
définitive qu’une telle force existe.
Vous
voulez lire intégralement la dernière nouvelle de Mario Corte, La
réunion? Suivez le link et vous ferez une rencontre très
spéciale avec un personnage qui s’y connaît en Vampires humains, et
qui ne s’est pas limité à les combattre, mais dans un passé lointain
affronta et défit l’Ennemi le plus terrible de tous, celui auquel tout
Vampire a choisi de se dédier, dans l’illusion d’acquérir un pouvoir
absolu sur les autres
Ecrivez à
vampiri@digamma.com
Centro AntiVampiri
c/o digamma
Via Accademia Tiberina 22
00147 Roma
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