Le système de la négation

Le Vampire traditionnel est l’allié du diable. Et le diable traditionnel est négation. "Je nie" est sa formule magique. La philosophie du Vampire se basera plus ou moins sur ces propositions: "Je te nie. Je nie la vie qui est en toi et je te conseille de te plier à mes règles si tu ne veux pas en payer les conséquences. S’il existe un rapport affectif entre nous, mon chantage sera de t’en priver. Si tu es sous mon autorité, je méconnaîtrai tes mérites. S’il y a entre nous un rapport économique, je te priverai de tout moyen de subsistance. S’il y a entre nous une confrontation, je te priverai de toute reconnaissance et ferai pencher tout le monde en ma faveur." A un monde basé sur l’affirmation de la nature humaine, le Vampire substitue un monde basé sur sa négation.

 


L’appropriation d’énergie sous forme de dignité humaine

Les modes d’appropriation d’énergie vont du déni d’un salut, d’un sourire, de l’attention accordée, de la réponse à une question, de la reconnaissance d’un mérite, jusqu’à la violence psychologique et à la privation de la liberté de penser, voire de vivre. L’exemple le plus banal est celui du salut, décrit entre autres dans la courte nouvelle de Mario Corte, Le gérant.

Combien de fois nous est-il arrivé, que rencontrant une personne que nous connaissons vaguement, mais qui se souvient sans aucun doute de nous, nous la saluions et ne recevions en échange qu’un silence profond? La sensation qu’il est en train de se passer quelque chose d’étrange nous saisit immédiatement, quelque chose comme une variation imperceptible de l’atmosphère, un très léger malaise suivi d’un sentiment déplaisant. Tout s’est déjà produit. L’énergie s’en est déjà allée, le Vampire a eu sa "dose". Comment cela a-t-il pu se produire, ainsi, en une seconde? Comme la piqûre d’un moustique: une seconde et le sang est parti. L’explication est simple: cette personne, l’espace d’un instant, nous a privés de notre dignité humaine. Elle a décidé que les lois de l’éducation la plus élémentaire pouvaient être bafouées et s’est nourrie de la goutte de sang issue de cette petite blessure faite à notre dignité.

Et malheureusement la privation de dignité fonctionne systématiquement, parce que c’est une donnée objective, un fait. Le Vampire est très puissant parce qu’il a compris ce mécanisme: il suffit de nier aux hommes leur dignité pour assurer son alimentation en énergie. En effet, la victime n’a aucun moyen d’éviter le "vol". Dans le futur, évidemment, elle pourra choisir de ne plus saluer cette personne, mais le Vampire s’y attendra: il acceptera comme un don imprévu un nouveau salut éventuel (auquel, naturellement, il ne répondra pas), mais il ne souffrira certainement pas si cela n’advient pas. C’est un piège lâche que celui qu’il tend, qui doit fonctionner, qui ne doit pas laisser de salut à celui qui a été gentil avec lui. Et pour que cela se produise, il suffit d’une seule fois.

En la circonstance, la victime, à part méditer sur une future contre-négation de salut, a des possibilités bien réduites d’obtenir "réparation" des dommages subis. Ou elle s’en tiendra à accepter avec soumission ce qui s’est produit, ou elle réagira avec supériorité, en pensant: "Mais tu sais ce qu’il m’importe, à moi, le salut de celui-là!", en d’autres termes elle entrera dans la logique du Vampire, dans laquelle les hommes ne sont pas égaux: ou l’un des deux se sent supérieur à l’autre et l’autre l’accepte, ou tous deux se sentent supérieurs et se méprisent l’un l’autre. Voilà le règne du Vampire.

Naturellement, nous avons eu recours à un exemple bien particulier, qui ne met même pas en jeu une véritable persécution vampirique, et où la victime est l’objet d’une action presque inoffensive. Un piqûre de moustique, justement. Mais à partir de là pourra être mise en œuvre une vaste et douloureuse opération d’agressions, parmi lesquelles nous vivons chaque jour.

Le déni de dignité - un thème présent dans toutes les nouvelles de Mario Corte et sur lequel nous retournerons à plusieurs reprises -, justement en ce qu’il retranche notre prochain dans une position d’humiliation subie ou de supériorité contrainte, est un petit crime contre l’humanité et contre l’unique vérité, religieuse ou laïque, qui existe sur terre: vérité selon laquelle les hommes sont tous égaux.

 

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