
|
|
M. Corte, Le
gérant
La journée de Massimo fut mauvaise. Pleine de petits
accrocs et d’incidents. Quand, à l’heure du déjeuner, il s’arrêta
dans un café pour manger quelque chose, il sentit en lui l’ombre du
souvenir de ce bel appétit qui accompagnait ses midis. Il commanda une
formidable escalope panée, nappée de jambon et d’un œuf sur le plat,
qu’il ne réussit pas à apprécier et qui lui resta sur l’estomac.
Deux travaux auxquels il tenait beaucoup lui furent retournés. Il ne fit
qu’une interview, un ancien responsable du budget anglais qui lui avait
promis des révélations extraordinaires sur certains emplois des fonds de
la Couronne d’Angleterre, et qui lui demanda au contraire un petit prêt,
parce qu’il voulait s’installer en Italie avec sa maîtresse, et
était pratiquement dans le rouge. A la maison, Ale lui avait préparé un
couscous, mais il le toucha à peine. En passant devant la loge obscure,
avant de rentrer chez lui, Massimo avait cru entendre la voix du concierge
le saluer tout bas, comme s’il voulait se rattraper de ne l’avoir pas
fait le matin. Ale et lui passèrent la soirée sur le canapé du petit
salon à regarder
des photos. Massimo se sentait vieilli. Il posa la tête sur l’épaule
de Ale et s’endormit sur le coup d’un sommeil lourd et mélancolique.
Ale lui caressa la tête un moment, puis l’emmena se coucher, comme un
somnambule.
Proseguir la lectura
M. Corte, Le
gérant
Il ralentit le pas, s’arrêta un instant devant les
deux hommes, prit une belle respiration, puis entonna un "Bonjour!"
tellement sonore que même un sourd aurait été saisi du doute d’avoir
entendu quelque chose. Le gérant continua à parcourir sa lecture, en en
marmonnant le contenu entre les dents comme si de rien n’était. Le
concierge, de son côté, fusilla Massimo du regard, d’un air de dire:
"Mais comment te permets-tu, jeunot, d’importuner le gérant."
Il se remit ensuite à regarder celui-ci de front, pour déceler d’éventuels
signes de mauvaise humeur, provoquée par l’intrusion de cet impudent.
Massimo comprit que pour les deux hommes, l’épisode était clos. Ils
attendaient seulement que cet individu comique, une fois le message reçu,
s’éloigne la queue entre les jambes. Massimo sentit toute son énergie
le quitter en un instant. Il était humilié et abattu. Et avec cette
déconfiture, c’étaient tous les piliers de son éducation, sur
lesquels reposaient ses convictions, qui volaient en éclats. Il lui
sembla voir des siècles de conquêtes humaines et de civilisation
balayés par ces deux sauvages qui voulaient lui enseigner leur loi. Et
lui devait s’y soumettre. Et l’apprendre. Leur loi prévoyait
probablement qu’à son tour il se rattrape sur les autres, et qu’une
petite, qu’une morne position de pouvoir à peine atteinte, il s’abandonne
aux délices dissimulés dans la liberté de ne pas rendre un salut. C’était
fini. Massimo se dirigea vers la porte cochère et à pas lents et lourds
la franchit.
Proseguir la lectura
M. Corte, Samuel Serrandi
Limandi conduisit son hôte au salon. Serrandi se
dirigea sans hésiter vers un fauteuil, près d’une petite table,
ignorant le geste par lequel l’autre l’invitait à s’installer dans
le canapé, où finit au contraire par s’asseoir le maître de maison.
Celui-ci officialisait désormais son embarras par une série de gestes
gênés et de gaucheries quand, juste au moment où il s’enfonçait dans
les coussins, il lui vint à l’idée de proposer à l’autre homme de
lui offrir quelque chose à boire. Alors que Serrandi, occupé à extraire
d’une petite poche bleue un mouchoir imbibé de parfum, ignorait l’offre
de Limandi, ce dernier crut bien faire en se levant d’un bond des
profondeurs du divan et, ce faisant, se cogna la tête contre l’étagère
qui le surplombeait. "Attention!" dit Serrandi avec une
sollicitude glaciale tandis qu’il épongeait délicatement la sueur de
son front avec la serviette parfumée. "Ce n’est jamais arrivé, je
vous assure", fut la réponse abracadabrante de Limandi qui,
abdiquant définitivement de son rôle d’hôte, renonça à l’idée d’offrir
quoi que ce soit à Serrandi.
Proseguir la lectura
M. Corte, Angelo
Comme sorti de nulle part, apparut à côté de la
porte de la sacristie un homme avec un plateau à la main. Il y avait sur
le plateau quatre ou cinq petites coupes, de celles en cornets, taillées
dans un verre de camelote, qui dans les foyers modestes étaient
utilisées pour servir le vin doux aux invités. "Une nouvelle forme
de célébration eucharistique?", se demanda Ivan. Marisella prit un
des verres et en but le contenu d’un trait, retournant ensuite
rapidement à sa place. L’homme, qui devait être le sacristain, fit
circuler le plateau parmi le peu de personnes présentes, chacune d’entre
elles répéta le geste de Marisella. Quand il arriva auprès d’Ivan, l’homme
souleva légèrement le plateau pour le presser de se servir. Ivan était
fasciné pas cette scène qui semblait lourde de sous-entendus magiques.
Elle lui rappela un épisode de l’histoire du Saint Graal, et l’espace
d’un moment il se sentit un chevalier de la Table Ronde. Mais le
sentiment de la faute se frayait dans son cœur. Comme dans le cœur de
Lancelot qui n’aurait jamais eu le Graal. Il fit un geste qui signifiait:
"Non, merci". Le sacristain le regarda de travers, puis prit le
verre et but. Alors qu’Ivan se hâtait vers la sortie pour rejoindre
Marisella qui poussait déjà les portes de l’église, il se prenait
encore pour Lancelot sans se rendre compte qu’au lieu de trahir un roi,
c’est lui-même qui avait essuyé trahisons et vengeances; et que sa
seule faute était bien au contraire d’avoir été élu. Une des petites
vieilles présentes dans l’église poussa un cri étouffé: il lui avait
semblé voir le crucifix bouger. Mais Ivan, qui avait déjà atteint les
portes, n’y prêta pas attention. "Pas Lancelot, mais Galaad",
répétait derrière lui le crucifix, d’une voix fatiguée et affligée.
Mais lui n’entendait pas, parce que l’illusion de la faute rend sourd
aux paroles de la vie.
Proseguir la lectura
M. Corte, Samuel Serrandi
Limandi rouvrit immédiatement le dépliant et
commença à l’examiner frénétiquement. Il s’efforça de comprendre
quelque chose, mais son esprit était comme paralysé. [...] Serrandi
commença à sortir une série de papiers d’une des nombreuses poches de
son sac de cuir. Devant les yeux épouvantés de Limandi, sur la petite
table, commencèrent à défiler des documents porteurs de messages
obscurs. On aurait dit les verbalisations d’un procès destiné d’entrée
de jeu à établir sa culpabilité. Il lorgna les procès-verbaux dans l’espoir
d’y trouver un signe de clémence de la part de la cour, mais il lui
sembla au contraire y distinguer les signes néfastes d’une sentence de
mort. Serrandi lui fit glisser le premier des papiers. Les yeux myopes de
Limandi effleurèrent les mots sans s’arrêter sur aucun d’eux. La
paralysie mentale qui s’était déjà manifestée devant le dépliant
continuait à neutraliser chacun de ses efforts pour garder contact avec
la réalité. Limandi ne lisait pas. Il n’arrivait à rien lire. [...]
Surtout, il n’était pas en mesure de penser. Il était littéralement
subjugué. D’une certaine façon il savait, et il avait toujours su, que
tout ce que Serrandi lui avait dit était une invention chimérique et qu’il
n’y avait, couchées sur le papier, que les paroles vides d’une
escroquerie mesquine, mais malgré cela, il était prêt à tout,
littéralement à tout. Peut-être pour se faire bien voir de Serrandi. Ou
peut-être pour ne pas l’irriter. Peut-être encore pour échapper au
cauchemar de sa présence et pour s’épargner, au moins dans l’immédiat,
une souffrance qui pouvait parfaitement être reportée à plus tard.
Naturellement Limandi n’avait jamais entendu parler de la Sisthematic
Multimedial ni des géants de l’édition dont elle était partenaire. Et
pourtant il lisait de tout et était une personne informée. Mais à ce
moment, dans son horizon, il n’y avait que Serrandi et ses
irrésistibles tentacules. Et il était totalement à sa merci.
Proseguir la lectura
M. Corte, La 1100 Belvedere
Nous leur rendions visite en été dans une grande
maison de campagne, entourée de nombreux figuiers et pêchers. Des tas de
broussailles tout autour de la maison. Une fontaine à sec [...]. Sa femme
mettait le couvert sur une table en bois sous la pergola et ils mangeaient
et buvaient là. Moi, je ne mangeais presque rien parce que ça me donnait
envie de vomir. Maggi me traitait comme si j’étais un petit sot. J’en
avais un souvenir vague et terrifiant, parce qu’il me donnait le
sentiment d’être inexistant. Sa femme était plus gentille. Elle
semblait accepter l’existence de tous. Y compris la mienne, avec une
dévotion qui la poussait à me préparer l’unique chose que je pouvais
tolérer en ce lieu: la bruschetta. Une fois pourtant, elle la prépara à
l’ail; je détestais l’ail, mais je la mangeai malgré tout, parce que
je ne voulais pas paraître benêt au point de lui faire refaire. Je me
souviens d’avoir tout mangé, et l’envie de vomir me prit avant même
de l’avoir finie. Je me retins et fut pris de mal de tête. J’errai
tout l’après-midi dans le jardin, les tempes comprimées par un étau d’acier.
Plus tard, alors qu’ils étaient à l’intérieur à préparer le
dîner et que les premières odeurs commençaient à parvenir, je me mis
à courir et réussis à arriver à la fontaine asséchée avant de me
décharger de la mixture de bruschetta jamais digérée. Je parvins même
à diluer la preuve de ma honte en remplissant plusieurs fois un arrosoir
rouillé que j’avais trouvé dans les parages, et en en vidant le
contenu sur mes rejets, jusqu’à les rendre quasiment méconnaissables.
L’odeur, âcre, se sentit pourtant. Tout fut découvert et la dame me
prépara un légère soupe aux vermicelles, que je ne refusai pas, me
bloquant de nouveau l‘estomac au risque de faire encore une piètre
figure. Quand il me dit bonsoir, Maggi m’adressa un "salut, jeune
homme", avec ses yeux qui ne souriaient jamais, et moi je savais que
m’appeler "jeune homme" était sa façon de me rappeler que
selon lui, je ne le deviendrais jamais, qu’à jamais je serais resté le
microbe que j’étais.
Proseguir la lectura
M. Corte, La
pelleteuse
"Alors", débuta le professeur Accardo,
"soyez attentives à ce que je vais vous dire. Toi aussi, Cremona,
sois attentive, et surtout toi, Santovito, sois attentive. Zorzi! toi
aussi sois attentive!". Le professeur Accardo apostrophait souvent
ses élèves de cette façon, croyant que "attentive" n’avait
qu’une forme, et utilisait conséquemment cette unique forme aussi bien
au féminin qu’au masculin. Cette bévue pourtant, tout en étant
relevée par tout le monde [...], ne parvenait pleinement à la conscience
de personne. En effet, quand il était question d’Accardo et que, comme
pour tous les professeurs, on se moquait de lui pour un défaut ou un
travers quelconque, il n’était jamais fait allusion à cette anomalie
évidente (et aux autres, il se peut moins évidentes, dont regorgeait son
discours); et, pour le même mélange de crainte et de pitié que tout bon
despote est capable d’éveiller chez les consciences hésitantes, elle
était passée sous silence. Bien plus, l’expression finit même par s’insinuer
de façon latente et ambiguë dans la pensée verbale des élèves
eux-mêmes, sans jamais supplanter pour autant la forme correcte; c’est
ainsi qu’un jour, alors que le professeur de lettres réprimandait
Silvestri pour sa distraction (lequel avait 8/10 en Italien et des parents
qui avaient fait des études supérieures), celui-ci avait répondu avec
promptitude et fierté qu’il avait été "toujours
attenti...", estompant la terminaison pour ne pas mécontenter le
fantôme d’Accardo et l’amener à un possible conflit d’autorité
avec son collègue.
Proseguir la lectura
M. Corte, Samuel Serrandi
"J’œuvre dans votre seul intérêt. Et je vous
assure que si vous ne signez pas, c’est vous qui n’aurez pas su y
faire. Et vous n’aurez certainement pas fière allure face à un
professionnel aguerri comme le soussigné. Ceci dit entre nous."
Proseguir la lectura
M. Corte,
Samuel Serrandi
"Pénétrant encore plus à fond les rouages des
mécanismes de persuasion, on s’était aperçu que le vendeur exerçait
un véritable "pouvoir personnel" sur le client. [...] Sur quoi
se basait donc ce pouvoir? La réponse la plus commune était assez
surprenante: sur la capacité du vendeur à communiquer au client une
anxiété synthétisable dans le concept suivant: "si vous laissez
passer cette occasion, vous allez vraiment vous ridiculiser." Mais
pour se ridiculiser devant quelqu’un, encore fallait-il avoir une haute
considération de son autorité. Sur quoi donc alors se fondait cette
formidable autorité? Et les personnes interrogées, une fois leurs
retranchements abattus, de fournir la plus libératrice et incroyable des
réponses, une confession dans les règles: "Il me fait de la peine.
Avec toute sa parlotte, son matériel promotionnel, avec toutes ses
affirmations catégoriques, tous ses slogans, cet homme ME FAIT DE LA
PEINE". Quelques uns, une fois la glace brisée, commençaient à
éprouver un sentiment de rébellion et de profonde aversion à l’encontre
de cette insoupçonnable conspiration de la pitié, qui produisait des
chiffres d’affaires de millions de dollars. Leurs sentiments se
résumaient dans l’antithèse des quatre thèmes fondamentaux qui
étaient à la base du pouvoir de persuasion; ces mêmes choses que les
gens auraient voulu dire aux vendeurs sans y être parvenus, finissant par
céder à une pitié masochiste: 1) "est-ce qu’il s’est déjà vu
que quelqu’un aille chez les autres, sans les connaître, pour le seul
plaisir d’œuvrer dans leur intérêt?" 2) "mes craintes quant
à l’investissement de mon argent sont plus que fondées parce que cet
argent est à moi"; 3) "mais qui la connaît votre organisation?;
et puis, si elle est aussi grande et renommée que vous le dites, pourquoi
envoie-t-elle des démarcheurs faire du porte-à-porte?" 4)"Si
je laisse passer cette offre spéciale, ce sera tant pis pour moi: mais à
moi, ça me va très bien". Voilà ce qu’ils auraient voulu dire,
mais n’avaient pas dit. Par crainte d’offenser leur interlocuteur. Par
crainte de blesser quelqu’un qui est venu chez toi te dire que tu n’es
pas informé, que tu ne vois pas ce qui est dans ton intérêt, que tu as
des craintes infondées, que son entreprise est très grande et que si tu
es stupide au point de laisser passer cette offre spéciale, tu t’en
mordras les doigts... Vous comprenez maintenant?"
Proseguir la lectura
M. Corte,
Samuel Serrandi
Par la présente décharge, je déclare accepter
le fait incontestable que l’abonnement aux 15 compact-disques de mise à
jour de la Banque de données sur Cd-Rom, d’une valeur totale de
56.309.100 £, a été souscrite de votre part exclusivement par PITIE A
MON EGARD. [...] Je vous autorise en outre à rendre publique cette
déclaration et confirme sur l’honneur accepter pour totalité de la
transaction précédemment conclue avec succès, l’affirmation suivante,
selon laquelle, je vous cite: VOUS ME FAITES DE LA PEINE ET C’EST POUR
CETTE SEULE RAISON QUE JE VOUS PAYE, et le concept qu’elle renferme.
Signé...
Proseguir la lectura
M. Corte, Le
gérant
Plus d’une fois, assis sur le banc de la loge, il
l’avait intercepté tandis qu’il se dirigeait à longues enjambées
vers l’étreinte d’un jour nouveau, prenant au piège son pas franc et
ostensiblement pressé dans le guépier d’un invariable: "Vous avez
vu, Monsieur Massimo?". "Quoi donc?" répondait Massimo les
dents serrées, freinant sa course comme un automobiliste frustré dans
son élan par la palette d’un agent de la circulation. "Comment,
quoi donc?", répliquait le concierge, commençant immédiatement à
exposer son point de vue sur la nouvelle du jour. Les sujets couvraient
les trois domaines sur lesquels lui, comme à peu près tout le reste du
genre humain, se sentait doté d’une opinion toujours claire, originale
et courageuse, de celles qui vont droit à l’évidence: la politique, la
justice et le football. Massimo, désireux de rendre sa cordialité au
concierge, et en même temps, de limiter la durée de l’entretien, au
début avait cédé à l’audition de ces sermons compliqués, se
contentant de toussoter nerveusement et de regarder l’horloge avec
insistance, pendant que son esprit vagabondait ailleurs. Mais regarder l’horloge,
quand on a en face de soi quelqu’un qui a pour principal objectif de te
soustraire ton temps, pour se l’accaparer, est une opération
inutile.
Proseguir la lectura
M. Corte, Le
gérant
"Bonjour!", dit Massimo d’une voix claire
et forte à l’adresse des deux hommes. La totalité du porche résonna
de son salut. Le gérant continua, imperturbable, à parler à voix basse
avec le concierge. Bien plus, avec un stylo qu’il avait à la main, il
commença à indiquer quelques coins du porche où devaient probablement
être faits certains travaux, ou des vérifications. Le concierge, en
revanche visiblement embarrassé, lança un regard furtif en direction de
Massimo, sans toutefois répondre à son salut ne serait-ce que par un
simple signe. Le matin suivant [...] le concierge était à son poste.
[...] Massimo s’apprêtait à le saluer allègrement, pour lui faire
remarquer qu’il n’en avait absolument pas après lui à cause du salut
non rendu de la veille, mais le concierge le devança.
"Vous avez vu, monsieur Massimo?"
Massimo vacilla. Il n’arrivait pas à croire que le concierge puisse
avoir l’insolence de lui proposer un autre de ses éditoriaux, après le
numéro du jour précédent. Et pourtant il le fit.
"Oui? Vous disiez?"
"Je disais, vous avez vu quelle honte?"
"Bah, en cherchant un peu, des choses honteuses, on peut en voir tant.
A quoi faites-vous allusion?"
Cette fois-là, le dédain du concierge était dirigé contre l’équipe
d’Italie de football et son commissaire technique. L’éditorial fut
plus venimeux que d’habitude. Il semblait que la frustration du
concierge augmentât de jour en jour. Son visage devenait tout rouge et de
temps en temps il écarquillait les yeux comme un fou, regardant Massimo
fixement comme s’il était son détracteur dans un procès dont
dépendait sa propre vie. Massimo était à la fois irrité, embarrassé
et attendri par tant de malheur.
"Vous dites que de toute façon nous sommes qualifiés pour le
mondial. Bravo! Bonne nouvelle! Et avec une telle équipe, on y fait quoi,
au mondial? Hein? Vous les imaginez vous, ces andouilles face au Brésil?
Hein? Ou à l’Allemagne? Hein? Autant rester à la maison! Hein? Qu’est-ce
que vous en dites, vous?"
"Bah, le mondial, c’est un peu à part. Vous vous souvenez
en 82? Quelques jours avant de battre l’Argentine et le Brésil, on
avait fait match nul avec le Cameroun... Après, on écrase la Pologne et
l’Allemagne, et on remporte le titre..."
Le concierge fixa son visage pendant une demi-minute, puis détacha son
regard et avec un mépris évident commenta:
"Vous avez de la chance, vous qui croyez encore au père Noël"."Filez,
filez" conclut-il, un sourire amer au visage. "Filez, ou vous
allez être en retard".
Et en même temps il faisait un vague geste de la main, qui semblait
vouloir dire "Circulez, circulez...".
Massimo, un peu mortifié et un peu soulagé d’avoir enfin été
congédié, le salua et s’en alla en fermant doucement la porte cochère
derrière lui.
Proseguir la lectura
M. Corte, Samuel Serrandi
"Vous savez que j’arrive de Turin? Je suis
descendu de l’avion il n’y a pas plus de trois quarts d’heure. Le
temps de sauter dans un taxi et me voilà. 85.000 lires de course. C’est
cher ou pas? Vous savez que je n’en sais rien: la Sisthematic
Multimedial paye tout; vraiment tout: elle ne nous fait même pas payer un
café. Et vu que je n’arrête pas de travailler et que je suis sans
cesse en déplacement, je suis en train de perdre le sens des réalités
économiques. Avant-hier j’étais à Ravenne. J’ai mangé à la "Chandelle
rouge", oui, copieusement - vous savez, moi à midi, je ne mange
presque jamais, je grignote, comme on dit chez moi, et du coup le soir, je
me requinque - mais 170.000 lires, cela m’a semblé un peu beaucoup. Ou
non? Vous savez que vraiment je ne m’y retrouve plus. Bien sûr j’ai
mangé de ces petits maccaronis "all’amore", qui les feraient
saliver au "Santa Klaus", à Milan. Et le poulet à l’argile?
Moi, je n’arrive tout simplement pas à imaginer ce qu’ils mettent
dedans. Ce sera le temps de cuisson, quelque épice secrète, mais c’est
la chose la meilleure que j’aie jamais mangée. [...] Alors la cuisine
napolitaine vous plaira certainement. J’y étais il y a cinq jours, à
Naples. Saveurs simples, rien de trop recherché, mais saveurs vraies. A
Naples, l’huile est huile, le roux est roux, la tomate est tomate
fraîche et les clovisses, clovisses plantureuses. Et par dessus tout, si
l’on aborde la question des pizzas, la mozzarella est mozzarella. De
buffle. Tellement fraîche que si tu la presses, le petit lait doit en
sortir en cascade. Coupée en tranches épaisses, comme cela la saveur de
la mozzarella crue se conserve après son passage au four. Au feu de bois,
évidemment. Et il existe des vandales qui essaient de te faire passer
pour de la pizza certaines choses sorties d’un four électrique. Quels
criminels... Excusez-moi si j’utilise des mots un peu forts, mais on
parle tant d’identité nationale, de retour aux valeurs, de
perpétuation des traditions, et ensuite quelqu’un vient prétendre vous
mettre dans l’estomac des pizzas massacrées au four électrique…"
[...] "Je vous explique tout de suite: la Systhematic Multimedial,
leader mondial sur le marché de l’édition éléctronique,
conjointement à la Champyon Edizioni, du groupe éditorial Champyon &
Winning International, est en train de lancer une nouvelle, une
extraordinaire initiative éditoriale que seules des personnes de vaste et
profonde culture, telles que vous, pourront apprécier pleinement. Voici,
regardez un peu ceci. [...] "Vous ne devrez en aucun cas acheter l’Encyclopédie,
mais juste exprimer votre avis la concernant. [...] Quelques informations
sur l’Œuvre. Neuf ans de travail pour la réaliser. Version unique sur
Cd-Rom: Cd de 640 megabytes, texte, images, son, musique, le tout
complètement interactif. [...] Contenu: informations interdisciplinaires
sur les technologies de pointe, avec des textes aptes à mettre en
évidence les tenants des réalisations technologiques en les décodifiant
et en les réorganisant sur des bases non seulement scientifiques, mais
aussi de divulgation. [...] Avant de la lancer sur le marché, la
Sistemathic Multimedial et la Champyon Edizioni veulent y voir clair et la
tester de toutes les façons possibles. En clair, il s’agit d’une œuvre
destinée à laisser une empreinte profonde dans le panorama de la
divulgation scientifique. Sa production a coûté énormément, mais
énormément de milliards, et pourtant elle ne sera pas mise sur le
marché avant d’être parfaite, même s’il en coûtait encore autant
de milliards pour la mettre au point. Et alors là, voici l’idée
révolutionnaire. Pourquoi ne pas faire évaluer l’œuvre avant de la
mettre en vente? Et par qui? Par des experts, des scientifiques, des
professeurs de renom? [...] Non: ce qui nous intéresse maintenant, c’est
l’avis des autres, de vous autres hommes de culture, vous autres
professionnels […], de vous qui pouvez vous permettre de choisir parce
que vous êtes en mesure de juger, de vous qui voulez toujours le meilleur,
qui prétendez toujours au meilleur! De vous qui êtes expérimentés, qui
savez garder les yeux ouverts. De vous qui êtes le vrai nerf du marché".
Proseguir la lectura
M. Corte, Samuel Serrandi
"... Il s’appelait Capponatto, avec deux P et
deux T, comme il disait. Quel personnage... Complètement givré. Il t’appelait
au tableau, te regardait fixement dans les yeux et puis te disait, en
susurrant: "Homère...", et il n’ajoutait rien. [...] Mais je
lui dois tout. Deux diplômes de maîtrise, grâce à lui et à la teigne
avec qui je me gavais de culture. Droit et langues. Et en ce moment, je
prépare le troisième. Philosophie. Ça a toujours été mon rêve. Mais
j’ai peu de temps pour étudier. Pensez un peu que le dernier examen, je
l’ai préparé en un week-end. Entre le vendredi et le lundi. Trente sur
trente. Sans les félicitations du jury. Mais vraiment, passez-moi l’expression,
qu’est-ce qu’on s’en fiche. Il y a un bon moment, je l’ai
rencontré, Capponatto. [...] Qu’est-ce qu’on rit quand on se
rencontre. Dommage que sa femme se porte mal, le malheureux. Mais il a un
de ses esprits! Quel homme."
Proseguir la lectura
M. Corte, Le
gérant
Alors qu’il actionnait la poignée de la porte
cochère, il eut le sentiment d’avoir rejoint, malgré lui, les rangs d’un
régiment. Une légion d’individus qui n’avaient plus le choix. Ils
étaient vêtus en forçats et portaient, pendus à leur cou, un panneau
qui disait: ATTENTION: INDIVIDU PRIVE DE DIGNITE. LES PLUS ELEMENTAIRES
REGLES DE POLITESSE ENVERS CET INDIVIDU SONT SUSPENDUES JUSQU’A NOUVEL
ORDRE. Dans le reflet de la porte vitrée, il se vit, parmi de nombreux
autres forçats, faire la queue pour atteindre une table où un employé
distribuait à chacun une feuille grise; quand ce fut son tour, on lui
présenta un crayon à papier: il devait tracer une croix dans une des
cases que proposait la feuille grise; sur la première était écrit:
HUMILIATION; sur la seconde: SUPERIORITE. Massimo hésita. Il pouvait
choisir entre accepter avec soumission ce qui s’était produit, ou
réagir avec supériorité, concluant: "Mais tu sais ce qu’il m’importe
à moi, le salut de ces deux péquenots!". Etant entendu que quel que
soit son choix, il serait entré dans une logique aliénée où les hommes
ne sont pas égaux: ou quelqu’un se sent supérieur à un autre et cet
autre l’accepte, ou bien tous deux se sentent supérieurs et se
méprisent l’un l’autre. Tracer une petite croix dans n’importe
quelle des cases de cette feuille grise signifiait, de quelque façon,
commettre un crime contre l’humanité, et contre l’unique, l’incontestable
vérité, religieuse et laïque, qui existe sur terre, selon laquelle les
hommes sont tous égaux.
Proseguir la lectura
M. Corte,
La 1100 Belvedere
"Il est bizarre. Tellement bizarre. Avant, c’était
un enfant toujours gai, jovial, plein de fantaisie. Il chantait et
récitait des poésies pour tout le monde. Il inventait des histoires.
Intelligent. Eveillé. Mais maintenant, au contraire [...] Le voilà.
Toujours en train de bouder. Il est devenu revêche et distant, lui qui
était solaire, ouvert et affable avec les étrangers. Pensez un peu que
quand je l’emmenais au travail avec moi, il y a encore peu, il était l’attraction
de tout le bureau. Tout le monde l’adorait. Maintenant ils le traitent
comme s’il avait quelque maladie. Il reste là dans un coin, silencieux,
il répond à peine au salut de mes collègues, il ne sourit même pas par
obligeance. Et puis à la maison il est devenu arrogant. Et déloyal. On
dirait qu’il est toujours en train de ruminer quelque chose. Il ne parle
jamais, et dès qu’il s’agit de lui faire un reproche, il monte sur
ses grands chevaux. Dans ces moments, un peu qu’il parle. Il n’y a que
les coups qui le fassent taire. Il trouve à redire et chipote pour n’importe
quoi. Je vous assure que tenter de le faire céder, dans ces conditions, c’est
la croix et la bannière. On a même pensé un moment le confier à
quelque... établissement religieux, où ils sachent lui parler, le guider.
Mais je n’ai vraiment pas le cœur. Je préférerais que le docteur
Maggi lui donne un traitement, me conseille quelque thérapie, quelque
entretien avec un psychologue, je ne sais pas, je ne sais pas..."
"Vous semblez accorder une grande confiance au docteur Maggi."
"C’est une personne qui d’expérience. Un ami de confiance.
Quelqu’un qui connaît bien nos problèmes de famille. Et puis mon
épouse, pauvre femme, elle n’en peut vraiment plus."
Proseguir la lectura
M. Corte, La 1100 Belvedere
La bouche qui avait peut-être trop parlé, trop
exprimé, et qui maintenant s’était figée dans la fixité exsangue d’une
fente perpétuellement refermée à demi. Un nez dont le développement
hésitait entre un retroussement qui l’aurait livré à l’éternel
enfantin et finalement, au ridicule, et un allongement qui aurait
signé son visage, avant l’âge, de la marque de sa condition déjà
trop adulte. Le visage allongé. La tête qui, il y a encore quelques mois,
avait du être arrondie et bien proportionnée, s’étirait désormais un
peu trop en pointe vers le ciel, à la recherche d’une réponse, d’une
voix d’ange qui l’aide à comprendre un pourquoi trop difficile pour
son âme d’enfant. Les oreilles largement décollées, comme à vouloir
écouter à la porte d’une vie qui lui avait fait la promesse de
mélodies extraordinaires et qui maintenant l’avait exclu des délices
de son beau chant. Et enfin les yeux, voilés comme deux étoiles qui
brillent au loin et ont pour toile de fond une forêt de cheminées d’usine
insensibles au ciel et seulement capables de l’enfumer de leurs lourdes
scories.
Proseguir la lectura
M. Corte,
La 1100 Belvedere
Je pensai à mon père, qui était enfermé dans l’obscurité
de sa 1100 Belvedere, et mon cœur se serra. C’était un brave homme,
qui comme chacun de nous, sait sans savoir et se pose des questions sans
réponse, juste parce qu’elles lui donnent la possibilité de s’agripper
au doute; et il sait bien que s’il cessait un moment de se poser ces
questions aveugles, il devrait se confronter aux réponses qui depuis
toujours étaient là, tout simplement là. Mais je pensai aussi "aux
problèmes de famille", à ma mère qui n’en pouvait plus, à Maggi,
à combien il était un homme "d’expérience", et "de
confiance", aux traitements et aux thérapies qu’on organisait pour
immerger dans les fonds baptismaux de l’oubli cet enfant, qui un jour
avait été heureux, mais qui désormais en savait trop pour pouvoir l’être
encore. Je rentrai précipitamment et claquai la porte de la voiture,
comme un policier américain qui s’apprête à poursuivre un criminel. J’attachai
Chicca à son petit siège, je mis ma ceinture de façon décidée et
verrouillai les portes. Puis, je le regardai dans le rétroviseur: ses
gros yeux brillaient, et il avait la même figure excitée et extasiée
que quand papa n’avait pas encore rencontré Maggi, et qu’il le
faisait rêver parce que c’était un grand héros. Je passai la
première vitesse et partis.
Proseguir la lectura
M. Corte, Angelo
Angelo était stressé et frustré comme cela ne lui
était jamais arrivé dans sa vie. Son univers avait volé en éclats
après l’arrivée d’Ivan. L’idole, le mythe, le capitaine et le chef
indiscuté de l’équipe et du quartier, c’était encore lui, mais ce
petit-maître, qui ne savait envoyer dans les buts que des balles
aérées qui étaient déjà destinées à y finir, était arrivé dans sa
vie comme une malédiction. Il le haïssait déjà. Il le haïssait pour
sa fausse modestie, pour sa fausse générosité, parce qu’il lui
plaçait toujours cette balle juste dans les pieds, jamais quelques
mètres en avant comme lui le voulait, et il le faisait exprès, pour le
faire trébucher. Il le haïssait parce que c’était un fils à
papa, parce qu’il allait à l’université au lieu de gagner sa vie en
peinant, comme lui. Parce qu’avare de toute parole élogieuse, ou même
de considération à son égard, il se limitait à lui sourire avec sa
face de crétin, comme s’il voulait lui faire comprendre que pour lui le
grand Angelo n’était personne. Il le détestait parce qu’il avait une
chance absurde. Il tirait dans les buts et la balle entrait dedans,
tantôt en roulant, tantôt en rebondissant, tantôt échappant au portier
et tantôt directement, mais toujours mal tirée, avec ce pied qui avait l’air
d’une pioche. Il le détestait parce qu’Ivan était un privilégié,
un hypocrite, un chi-chi...
Proseguir la lectura
M. Corte,
Angelo
Ivan fut continuellement contesté, sifflé et hué
pendant les matchs; une fois, alors qu’ils lui hurlaient "piazza-le-lo-re-to
piazza-le-lo-re-to"3, il s’arrêta pour discuter
avec le public et chercha à expliquer qu’entre lui et son rival, on ne
saurait dire qui était le plus prolétaire, parce que lui était fils d’un
syndicaliste de la CGIL et Angelo d’un entrepreneur; Mais une bouteille
de chinotto vide lui atterrit sur la tête et il finit aux urgences. La
carrosserie de sa Seicento fut rayée, les pneus crevés, le pare-brise
fêlé et les essuie-glaces cassés.
3"Place
Loreto", place de Milan où le cadavre de Mussolini, à la fin de la
seconde guerre mondiale, fut exposé aux injures de la foule. Dans la
nouvelle, les huées du public reviennent donc à traiter Ivan de fasciste
en lui souhaitant la même fin.
Proseguir la lectura
M.Corte, Le
masque
La mère ouvrit le frigidaire et prit la petite casserole
avec le potage et le plat en terre cuite où se trouvaient deux quarts de
poulet. Ale crut se souvenir qu’Aurora avait cassé ce plat des mois
auparavant. La casserole non plus, elle ne l’avait pas vue depuis très
longtemps. La sonnerie stridente de l’interphone couvrit le bruit du
poulet en train de mijoter que la mère avait mis à chauffer dans le plat
en terre cuite. C’était Massimo. Il voulait savoir s’il devait aller
acheter du lait pour Aurora. Ale traversa la cuisine vide et silencieuse, et
alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir le réfrigérateur, elle se rappela
avoir déjà acheté un litre de lait en faisant les courses le matin. Elle
revint vers le combiné de l’interphone pour dire à Massimo qu’il n’y
avait pas besoin de lait, mais en se tournant elle vit la main de sa mère
posée sur un angle de la table, illuminée par la lumière du soleil
désormais mourant; le reste de la silhouette était immergé dans l’obscurité.
Alors, elle décida qu’un autre litre de lait n’aurait peut-être pas
été de trop, et envoya Massimo l’acheter. De retour dans la cuisine,
elle vit le quart de poulet fumant dans son assiette et sa mère qui se
débattait avec les ordures.
"Pourquoi jettes-tu l’autre poulet, maman?"
"Parce que la cuisse me fait du mal: c’est trop gras "
"Si tu me l’avais dit avant, c’est moi qui l’aurais mangée et je
t’aurais donné le blanc."
"Tu n’as toujours aimé que le blanc."
"Et alors, qu’est-ce que tu vas manger à part le potage?"
"Rien."
"Maman..."
"Dépêchons-nous, il va arriver d’une minute à l’autre."
"Pourquoi, tu ne veux pas le voir?"
"C’est lui qui ne souhaite pas me voir."
"Après tout ce temps, Massimo ne te plaît toujours pas, pas vrai?"
"C’est tout de même pas à moi qu’il est censé plaire."
"Pourtant à moi, ça me ferait plaisir que la personne qui vit à mes
côtés te plaise."
"A moi aussi ça me ferait plaisir."
"Et pourquoi ne te plaît-il pas?"
"Il n’est pas sincère."
"Qu’est-ce que tu en sais?"
"Ça se voit. On a l’impression qu’il cherche toujours à se cacher."
"C’est peut-être par timidité."
"Ce n’est pas par timidité. Moi, je suis timide. Je connais
la timidité."
"Et qu’est-ce que c’est?"
"De la fausseté."
"Comment peux-tu en être aussi sûre?"
"Je le sais."
"Il ne se pourrait pas que tu te trompes?"
"Non."
"Qu’est-ce qui te fait penser que tu as toujours raison?"
"Je n’ai pas toujours raison. Mais sur cette question, j’ai raison."
"Et comment le sais-tu?"
"Je le sais."
"Pourquoi ne l’as-tu jamais aimé, maman?", dit Ale d’une voix
tremblante.
"Parce que c’est un tiède. Un peureux. Un mort. Et toi tu
ne..."
[...] "Ce n’est pas vrai, maman. Il est vivant. Et Aurora aussi est
vivante. Et moi aussi..."
"Toi, tu es comme moi, pas comme lui."
Proseguir la lectura
M. Corte, Expositio ad bestias
Depuis le début de leur mariage, Gina et Armando avaient
été capables, avec une précision scientifique, de venir à bout de la
dernière lire de leur salaire bien avant de toucher le suivant. Ainsi, vers
le vingt de chaque mois - puis, avec le temps et la naissance des enfants,
vers le dix-huit, le quinze, et dans les derniers temps, jusqu’au douze ou
au dix - on les voyait apparaître, avec leur mine de chiens battus, sur le
seuil de la maison de Mario. Le rituel était désormais parfaitement rodé:
eux se taisaient, dans l’attente que Mario et sa femme Lucia posent la
question qui était à la fois la plus conventionnelle et la plus
inconsidérée des questions: "Comment ça va?". Une question qu’Armando
et Gina, avec leur expérience consommée, avaient cessé depuis un bon laps
de temps de poser à qui que ce soit et - par cette impression de vide
hypnotique que l’on ressent devant qui est impudent au point de renoncer,
en partant, à toute formule de politesse - qu’ils réussissaient à
extorquer absolument à qui que ce soit, même à leur pire ennemi. La
réponse à cette question fatale consistait normalement en un rapide
échange de regard entre mari et femme, suivi par un brusque sanglot de
Gina, pendant lequel Armando, occupé à composer sur son visage une grimace
de douleur, peinait à réprimer le demi-sourire qui déformait ses muscles
faciaux à la joie que lui procurait l’entreprise déjà à moitié
réussie. La suite de la visite était une pure formalité: d’un
portefeuille sorti de quelque part étaient extraits quelques billets de
banque qu’Armando et Gina repoussaient avec des gestes désespérés,
jusqu’à ce que Mario et Lucia réussissent à leur enfoncer avec force
dans la paume d’une main qui se débattait, refermant sur eux des doigts
tendus en une extrême défense de dignité blessée. Là-dessus, un
rendez-vous impromptu pris avec quelque créditeur (qui rendait inconcevable
le vaillant effort physique opposé quelques instants auparavant à la
remise de l’argent) arrachait le couple à l’affectueuse attention de
leurs parents, les projetant à nouveau dans leur énigmatique dimension de
naufragés.[…] LaRègle professée par Madame Jole voulait que Mario soit
non seulement irréfléchi et mal adapté, mais aussi "extrêmement
malchanceux".[…]
[Mario] était employé dans une toute petite entreprise,
qui passait par des moments de félicité, suivis de brusques revers
compromettant dangereusement son avenir. Armando travaillait au contraire
dans une grande entreprise généreusement subventionnée par l’Etat, et
une gestion avertie de son emploi lui aurait permis d’évoluer parmi des
eaux tranquilles jusque vers une retraite aussi lointaine qu’assurée,
surnageant entre quatorzième mois de salaire, prêts préférentiels et
possibilités concrètes (sinon formellement consenties, de fait tolérées)
d’arrondir ses fins de mois avec une seconde activité, vu les horaires de
travail guère plus que symboliques. Le hic était qu’Armando, après la
disparition d’Antonio, avait de fait remplacé ce dernier dans le cœur
des membres de la famille. Et cette impression de fragilité, d’inconsistance,
d’évanescence, de Néant que la famille associait alors à l’idée d’un
premier-né naturel, s’était reportée sur celui qui dorénavant était
le premier-né de fait. Et les fantômes de ce même insondable inconnu qui
avait englouti Antonio avaient trouvé refuge en Armando, lequel, s’éveillant
un jour à sa nouvelle condition, s’était découvert fragile,
inconsistant, incorporel, réduit à néant comme son frère disparu. Mario
avait emprunté un autre chemin, ayant bien compris, depuis le départ d’Antonio
pour la guerre, n’être absolument pas désigné pour compenser ce vide d’amour,
mais avoir là au contraire une occasion inespérée de justifier une
existence dont la superfluité trouvait une synthèse efficace dans la
définition de "bouche supplémentaire à nourrir", avec laquelle
on le désignait dans la majeure partie des discussions familiales. Le mode
naturel pour saisir cette occasion était de subvenir aux besoins concrets
de la famille […]
Et ça avait donc été Mario, pendant la guerre et les
années immédiatement successives, qui avait maintenu sur pieds toute la
maisonnée. Dédiant chaque goutte de sa sueur au travail, il était parvenu
non seulement à pourvoir aux besoins essentiels de la famille, mais aussi
à financer toute une série d’activités excentriques entreprises par ses
membres. En premier lieu les bizarreries herboristiques de son père, qui,
dans l’illusion de pouvoir recommencer à jouer au théâtre comme jeune
premier et devenir riche, consacrait son temps et son argent à mettre au
point un médicament qui aurait dû faire disparaître toute ride de son
visage, et qu’il destinait, indépendamment de cette fin artistique, à
rafler des milliards. En second lieu, les passions déçues de son frère,
lequel, à chaque fois entre les quatre murs de sa chambre, avait été
poète, peintre, sculpteur et finalement astrophysicien, avant de tenter une
carrière de footballeur bien vite interrompue par son exclusion inopinée
du groupe des titulaires de la Robur-Tibur, équipe de seconde division qui,
disait-on, était suivie de près par les observateurs des grands clubs
nationaux. Troisièmement, les caprices de Giunta, laquelle, "naturellement
portée vers la musique", en avait expérimenté à peu près tous les
instruments à l’exclusion des vents (et évidemment les leçons des
enseignants respectifs), avant d’en conclure que sa véritable vocation
était le chant, et de s’offrir les leçons d’un des plus grands
contraltos du pays, contre paiement d’une rétribution dont l’acceptation
avait surpris jusqu’au contralto en personne. Et pour finir, les
frénésies de retraite de sa mère Jole, qui enviait à son mari les
loisirs créatifs et les activités chimériques, les longs après-midi en
compagnie de mots-croisés et les promenades du soir pour voir le coucher de
soleil et l’étoile du Berger, sur la lande désolée du Pré à côté de
la maison: pour obtenir tout cela, la mère avait soutiré à Mario l’argent
pour louer à l’heure les services d’une aide ménagère, mais celle-ci
(vaincue par la sévérité impériale de Jole, par tout ce carnaval d’exercices
de chant, de vapeurs d’herbes bouillies et d’énonciation de lois d’astrophysique
entrecoupées de dribbles sur la terrasse) n’avait effectivement résisté
que quelques heures, ouvrant la voie à une inépuisable succession de
domestiques.
Proseguir la lectura
M. Corte, Expositio ad bestias
Zagleide indiqua à Jole la baïonnette qui jonchait le
sol et avec l’autre main simula le geste, sans équivoque possible, d’une
décapitation, pendant que la Cocullo lui désignait l’enfant.
Jole, toujours plus horrifiée, fit un pas en arrière et dit:
"Mais c’est atroce".
"Tu as promis de faire la volonté de Zagleide...", dirent à l’unisson
Teresilla et Lucilla, prenant pour la première fois la parole. Leurs voix
étaient douces et ensorceleuses comme celles des sirènes.
"Mais...Cet enfant est..."
"...Sang de l’ennemi... De là vient la Fortune..."
emboîtèrent les sorcières toujours en chœur.
[...] "Mais...n’y a-t-il pas un autre moyen?"
"Non: il n’y a pas d’autres moyens", répondirent en canon
Teresilla et Lucilla. "La Fortune passe du sang de celui qui l’a au
sang de qui ne l’a pas."
[...] Jole s’agenouilla en pleurant et cria entre les sanglots:
"Vous, faites le plutôt... Je vous en supplie. Moi je m’en vais.
Je ne veux pas savoir ce que vous faites".
Pour toute réponse, Zagleide, s’ébrouant comme un taureau, [...] remit
l’arme à Jole, qui se retrouva l’objet entre les mains.
Alors la Cocullo s’approcha, lui mit affectueusement un bras autour des
épaules et lui susurra à l’oreille:
"D’toute façon, y’mourra qua’même: il est malad’..."
"Malade?"
"Ave’tout l’Agnisdè qu’on lu’a pris[...], l’a pas
longtemps à viv’"
Une force trouble s’empara de Jole, lui embrasant les yeux, lui secouant
et lui tendant chacun de ses muscles. Avec le geste hystérique de celui
qui veut en finir, elle serra la main autour du manche de l’arme aussi
étroitement que les paupières contre ses yeux et commença à frapper à
l’aveuglette, coups sur coups, jusqu’à ce que le cri des sorcières l’avertisse
que c’en était fait.
Proseguir la lectura
M.Corte, La
pelleteuse
Il poussa doucement la porte et vit devant lui le
visage énigmatique du professeur Accardo, lequel accompagna l’ouverture
de la porte, en maintenant la main sur la poignée. Regardant fixement
Michelino dans les yeux, Accardo lui fit un signe du menton, lui indiquant
de s’asseoir à sa place. Le sourire confiant de Michelino s’évanouit
comme un charme et pour une raison incompréhensible, un frisson de peur lui
courut le long de l’échine. [...] Accardo prit place sur l’estrade et
finalement son visage s’ouvrit en un sourire chaleureux. Michelino
recommença à respirer timidement. Alors l’enseignant, avec une bonhommie
solennelle, regarda dans sa direction. Il ouvrit ensuite la bouche et
continuant à sourire, dit:
"Bravo, Santovito: onzième. Vous vous rendez compte: onzième sur tous
les élèves de tous les collèges de la ville!".
Après une courte pause, pendant laquelle il avait continué à acquiescer
en direction de Santovito, le regardant avec un sourire paternel et un
regard vaguement nostalgique, le professeur Accardo poursuivit:
"Bravo également à Trotta: quatre-vingt-dix-huitième. Une excellent
classement. Bravo également à Roggi, votre compagnon de quatrième, qui s’est
classé quarante-neuvième".
Alors que la création dans son ensemble semblait attendre, retenant son
souffle, la suite du discours, le professeur Gerardo Accardo prononça
orgueilleusement la phrase qui concluait la dispense des félicitations:
"Je suis vraiment fier de vous. Bravo. Bravo. Bravo. Et bravo
également à tous les autres".
Et tandis que ses mains se joignaient pour s’agiter en l’air en un geste
de victorieuse gratitude, la classe resta interdite, ne comprenant pas
encore si le moment d’applaudir était venu. Ce fut le professeur
lui-même qui dissipa le doute, en commençant à battre lentement mais à
grand fracas ses grandes mains, qui se traînèrent derrière un chœur d’applaudissements
d’abord timide, puis de plus en plus vigoureux. Et ces applaudissements
firent irruption dans le cauchemar où Michelino avait été précipité, se
déformant en un son narquois, railleur, méchant.
Proseguir la lectura
M.Corte, La pelleteuse
Sortant de l’école abattu et bafoué tout justement
dans ce qui devait être un jour de victoire, Michelino pensa que la chose
la plus amère de toute cette histoire n’était pas le fait que le
professeur, pour quelque obscure raison, lui ait refusé le moindre éloge,
mais la certitude angoissée qu’aucun de ses compagnons de classe n’aurait
ressenti le besoin de s’arrêter dessus avec un autre compagnon, pour
commenter le silence du professeur et s’interroger sur ses raisons. Comme
ça, juste pour parler de quelque chose, de même qu’on parle du chapeau
bicorne du professeur de mathématiques ou des dents en avant du professeur
d’anglais. Pas par solidarité, mais par simple curiosité. [...] Et
Michelino passa par des phases de long silence et par de nouvelles
tentatives de dénonciation, continuant à se débattre pour ne pas respirer
l’air toxique d’une réalité où les événements perçus par un
individu isolé équivalent au fruit de l’imagination d’un fou,
et où les tentatives pour faire partager l’expérience de tels
événements peuvent prendre l’aspect d’une ignoble calomnie aux
dépends de quelque innocent. Jusqu’à ce qu’un matin lumineux de fin
septembre chargé d’odeurs de cahiers et de crayons, Michelino trouve la
pierre philosophale dissimulée dans l’intimité la plus retirée de son
exil: la certitude apaisante que si la vérité est ce que dit une bonne
autorité, ce qu’elle tait ne peut être que mensonge. Et il ne resta plus
aucune trace du concours de dessin, même pas dans la mémoire [...] Et à l’école,
comme s’y attendait Michelino, personne ne parla jamais plus de cet
invraisemblable concours, dont la non-existence lui redonnait l’accès à
Santovito, à Trotta, à tous ses amis les plus chers et au professeur de
Dessin, lequel, contre toute logique, aurait continué à le promouvoir.
Proseguir la lectura
M. Corte, Angelo
[Ivan] était toujours éperdument amoureux de Livia,
laquelle avait cependant décidé d’expier sa faute en renonçant à Ivan
lui-même, plutôt qu’à Angelo. Ainsi, dans les rares occasions où il
leur arriva de se rencontrer, Livia et Ivan endurèrent la douleur d’un
enfer aussi torturant qu’inévitable: elle aimait secrètement Ivan mais
ne trouvait pas juste de se partager entre lui et Angelo, duquel elle n’arrivait
de toute façon pas à se détacher parce qu’il lui insufflait dans les
veines la passion dévorante d’une absolue soumission au sexe; Ivan
de son côté, qui aurait été disposé à retourner avec elle et qui
sentait qu’elle lui rendait secrètement la même torrentielle affection
de cœur que celle qui courait en lui, était contraint d’ingurgiter des
discours et des attitudes de pure forme qui lui nouaient la gorge, l’étouffant
dans l’étreinte d’un désespoir qui ne s’épanchait jamais dans les
larmes, mais toujours dans une dépendance absolue. La dernière fois qu’il
la rencontra, avant que ne s’ouvre entre eux l’abîme incommensurable
des années, elle lui dit, d’une voix empruntée au néant: "Je sais
que tu fréquentes Marisella. Je suis contente. Tu mériterais vraiment une
fille comme elle": Et lui, avec une voix empruntée à l’intelligence
lui répondit: "Marisella sait que nous nous fréquentons. Elle est
contente. Je mériterais vraiment une fille comme toi". C’etait une
déclaration d’estime parfaite et d’amour absolu; mais elle ne la
comprit pas. Et elle conclut: "Ne sois pas jaloux d’Angelo. Tu es et
restes unique". Ivan eut à peine le temps de la déposer devant chez
elle, puis il put enfin ouvrir les vannes du fleuve qui lui oppressait les
yeux depuis des mois, finissant de pleurer contre un mur, après l’inoffensif
tête-à-queue avec lequel sa Seicento avait voulu lui rappeler qu’elle
aussi était folle de douleur au souvenir des baisers dont lui et Livia,
autrefois, l’avaient imprégnée.
[...] Une fois dehors il enlaça Marisella, s’abandonnant
entre ses bras comme un athlète s’abandonne entre ceux de son entraîneur
après avoir remporté une course. Marisella frémit et sembla fondre de
passion à ce geste, qui au contraire était pour Ivan absolument innocent.
Ils marchèrent un moment enlacés et une fois dehors elle demanda à Ivan
de s’asseoir sur un banc de pierre.
"J’ai deux nouvelles à t’apprendre. Une mauvaise et une... je ne
sais pas, peut-être la seconde aussi est-elle mauvaise. La première, c’est
qu’Angelo et Livia se marient parce qu’elle s’est retrouvée dans un
état compromettant"...
Ivan [...] était sur le point de s’évanouir et il se
cramponna à l’ambiguïté de cette irritante expression censurée [...]
"Qu’est-ce que ça veut dire? Compromettant. Mais comment tu parles?
Qui exactement pourrait être compromis par son état? Hein?[...]"
"Disons qu’elle est enceinte."
"Ah, nous y voilà", dit Ivan avec le ton de quelqu’un qui veut
démontrer à quel point il est commode de parler clairement. Et à quel
point une sentence de mort, si elle est prononcée avec clarté, peut être
une chose absolument normale. Acceptable. Saine. Naturelle. Il semblait qu’il
allait se mettre à dire: "Bien bien bien. Qu’est-ce qu’on fait de
beau maintenant?". Mais il ne le dit pas, parce qu’alors qu’il s’enfonçait
dans la coulée de lave de la douleur infinie, il vit une âme qui voyageait,
comme un oiseau qui descend du ciel. Sa Livia qui prenait dans ses bras l’âme
voyageuse et la posait sur son sein. La vie. Le destin. Ce que tu as de plus
précieux, précipité dans un abîme, et toi qui tends les mains vers une
chose horrible. [...] Et il ne s’aperçut absolument pas qu’il s’était
levé et lancé dans une course folle, aveugle, brisée seulement par l’étreinte
de Marisella qui avait désespérément couru après lui, ni ne comprit que
ce cri inhumain qu’il entendait résonner dans son cerveau sortait de sa
bouche jusqu’à ce qu’il s’étouffe entre les lèvres béantes de
Marisella qui le réaspiraient en elle, et dans le tournoiement vertigineux
d’une bouche inconnue, d’un amour consolateur qu’il savait fait de
dents propres, de larmes mêlées et d’espoir.
[...] Ivan fut subitement précipité dans un nouveau
cauchemar, inattendu et terrifiant. Marisella, l’incarnation du confort et
de la chaleur, lui était devenue hostile [...]. Il commença à se sentir
la partie faible de leur couple, la partie encombrante, celle où le bât
blesse. Marisella continuait à lui accorder son temps et son amour, mais d’une
position de supériorité préoccupée, comme un chef de famille qui consent
à son neveu de s’asseoir à la même table que ses enfants.
[...] Puis, un jour de fin d’automne, alors que sur le banc gelé d’un
parc de banlieue il reposait la tête sur les genoux de Marisella, lui
demandant désespérément de l’aide, elle prit la parole:
"Tu vois, Ivan, ton problème c’est que tu n’es pas encore
véritablement un homme. Tu es un peu un enfant. Et pour une femme, c’est
vraiment un fardeau de tenir la main à un enfant. Je t’aime tant et je le
fais volontiers. Mais je t’assure qu’il faut une bonne dose de
persévérance". Ivan, qui se sentait alors plutôt vieux qu’enfant,
eut l’impression d’avoir déjà vécu tant de fois dans sa vie, ou dans
d’autres vies, ce même moment. Il quitta sa position qui paraissait
désormais ridicule, et la regarda dans les yeux. Elle, la femme, baissa les
yeux, mais lui, l’enfant, continua à la fixer, comme le font les enfants
avec les adultes, quand les adultes se sentent pris en faute et cherchent à
éviter ce regard implacable.
[...] Il la riva à son mensonge. [...] Il se rappela quand, quelques
semaines auparavant, ils avaient vu Angelo, Livia et la petite Deborah
passer lentement, comme dans un rêve, de l’autre coté de la rue.
Marisella avait tendu le cou comme un petit chien qui a flairé une bonne
odeur et dans ses yeux était apparu le signe d’une vacance angoissante.
Elle s’était reprise en feignant d’être en proie à une pensée
délicate, et avait dit: "Tout de même, que c’est beau les enfants,
qui sait, nous...Quand...". Angelo. Quand Ivan eut prononcé son
nom, Marisella s’abandonna à une vive émotion, libératrice, infantile
et cruelle: "Il me manque tant. Tant. Excuse-moi, mais c’est ainsi.
Il me fait de la peine, tant de peine. Il a besoin d’aide. C’est pas une
vie qu’il mène: travail, maison, langes, biberon et petite femme... Mais
tu vois un homme comme lui mener cette vie? En plus avec elle, il n’a pas
d’amour. Il est malheureux. Tellement malheureux. Le voir dans cet état
devrait t’émouvoir toi aussi, qui le hais tant. Il a besoin d’aide.
Mais il est pris au piège. Comment pourrait-il? Comment pourrait-il tout
quitter, comment pourrait-il quitter cette créature? Il a besoin d’aide.
Il a besoin de moi. Je ne lui demande rien en échange. Et lui ne me demande
rien. Mais il me fait sentir que je vaux quelque chose. Et pour une femme, c’est
tellement important de se sentir de quelque valeur".
Proseguir la lectura
M. Corte, La
pelleteuse
Un noeud trop gros s’agrégea dans la gorge de
Michelino, qui commença à pleurer en se couvrant les yeux des mains et en
tressaillant en silence. A côté de lui, Santovito, rouge comme une tomate
et le visage contracté d’embarras, agita un instant la main à mi-hauteur,
comme pour tenter par ce geste de secourir son ami, mais il se retint,
amortissant son geste en un improbable mouvement de dégourdissement des
doigts. "Je m’occupe de faire rentrer cela en ordre", tonna
Accardo. Le visage empourpré, [...]Accardo, en deux bonds, se retrouva
près du banc de Michelino, il lui saisit une oreille et commença à la lui
tordre méthodiquement, la moulinant au-delà des limites du supportable,
jusqu’à ce que Michelino n’émette un cri. [...] Les sanglots du
garçon, qui ne laissaient de place à aucune parole, [...] décidèrent le
professeur à poursuivre encore plus avant. Traînant Michelino par l’oreille
encore serrée et tordue, il le fit lever, le conduisit près de l’estrade
et, comme un justicier qui s’apprête à exécuter un condamné, le fit
brutalement plier à genoux, face au mur.
[...] On était le jeudi suivant cette scène. Dans le
courant de la semaine, les yeux de Michelino avait du soutenir l’humiliation
de la rencontre avec le regard de ses camarades, lesquels lui avaient
dénié tout type de commentaire, l’évitant et l’isolant comme si s’était
révélé en lui, ce jeudi matin-là, dieu sait quel vice infâme. Personne,
à part Santovito, ne le saluait plus en premier, bien au contraire ils
répondaient à son salut presque agacés, comme si, au lieu du "salut"
d’un camarade, ils avaient reçu les sollicitations d’un type équivoque
en quête de monnaie. Quand ensuite, distraitement, quelqu’un se
surprenait à lui adresser la parole ou à rechercher dans sa direction un
regard d’approbation pendant les histoires drôles racontées en groupe,
réalisant sa gaffe, il était pris d’embarras et détournait le regard,
comme une fille qui s’apercevrait qu’elle a demandé une information
tout juste à l’homme qui peu auparavant lui a adressé un compliment
ignoble.
Proseguir la lectura
M. Corte, Le
gérant
Massimo laissa aller la poignée de la porte cochère qui
se referma toute seule. Il pensa à Ale. Do not forsake me, oh my
Darling, commmença-t-il à fredonner dans sa tête. High Noon.
Effectivement il était presque midi. Et il était seul, comme le shériff
Kane. "Je t’aime" dit-il à voix basse. Et il lui sembla
entendre la voix de Ale qui lui susurrait "Je t’aime" à l’oreille.
Il se dirigea vers les deux hommes et à pas lents et mesurés les rejoint.
Ils l’entendirent arriver mais aucun des deux ne lui accorda la moindre
attention. Massimo l’avait prévu. Il fixa des yeux la nuque impudente du
gérant. Puis il parla:
"Monsieur le gérant, excusez-moi..." commença-t-il avec une
humilité affectée, "Ne répondez-vous donc jamais au salut des autres,
ou bien m’en voulez-vous personnellement?".
Toute la création sembla plonger dans le silence. Un silence primordial,
magmatique, d’avant le Verbe. Le concierge fut le premier à réagir. Il
le regarda la bouche bée et les yeux exorbités comme si Massimo eût à peine
renversé un calice sacré, plein d’hosties, et qu’il se fût mis à les
piétiner sauvagement.
Le gérant au contraire, cessant finalement de fixer ses papiers, tourna
lentement sa tête jusqu’à atteindre Massimo du regard. Les lunettes sur
le nez et les yeux encore un peu bigles à cause de la concentration de la
lecture lui donnaient une apparence à mi-chemin entre extase et hébétude.
A moitié affalé comme il l’était sur le banc, il avait l’air d’un
ripailleur romain ivre, allongé sur un triclinium à se gaver d’œufs de
caille.
"Que dit-il?", demanda-t-il au concierge, la voix étouffée et
enrouée par cette absurde position. Le concierge resta à le regarder, muet.
Il était tellement occupé à attendre ses ordres qu’il ne réussit même
pas à répondre à son Maître.
"J’ai demandé", intervint Massimo: "Ne répondez-vous donc
jamais au salut des autres ou bien m’en voulez-vous personnellement?".
Alors que le concierge se prenait la tête entre les mains, le gérant fut
traversé par une sorte de tremblement qui lui parcourut tout le corps.
Frissonnant encore un peu, il ouvrit tout grand la bouche en un
extraordinaire bâillement, se remit ensuite dans une position plus
gracieuse, se redressant sur le banc jusqu’à s’asseoir. On aurait dit
qu’il s’éveillait d’un rêve et son visage prit instantanément une
expression d’humaine sollicitude.
"Je m’excuse vraiment", dit-il avec spontanéité. "Je suis
toujours distrait quand je travaille. Non, pensez-vous, rien de personnel.
Et en plus, pourquoi donc? Vous êtes quelqu’un de tellement bien. Vous et
votre dame. Quand je parle de vous, c’est toujours avec enthousiasme, avec
tout le monde. ‘Notre journaliste’, je vous appelle. Je lis toujours vos
articles. Je vous ai même vu à la télévision une fois, et j’ai dit à
ma femme: ‘Le voilà. le monsieur du rez-de-chaussée, notre journaliste’.
Excusez-moi, vraiment".
Le gérant se leva, alla vers Massimo, et lui tendit une main, que Massimo
serra avec chaleur. Alors que les deux hommes se serraient la main, le
concierge regardait Massimo avec un sourire complaisant, comme à vouloir
dire: "Bienvenu à bord, l’ami. Tu vois qu’à force de prendre ton
mal en patience, tu as fini par te faire concéder un peu de dignité
humaine?". Massimo l’ignora.
Toujours sans regarder le concierge, Massimo gagna la porte cochère, l’ouvrit
et sortit, tandis que le gérant répétait derrière lui: "Bonjour,
bonjour, bonjour, bonjour...".
Proseguir la lectura
M. Corte, Samuel Serrandi
[..] A quatre heures pile, Serrandi actionna
délicatement la sonnette.
"C’est vous, Docteur Serranda?"
"Docteur Samuel Serrandi. N’ayez crainte, ouvrez la porte."
[...] "Vous, Docteur Serramenti, vous êtes diplômé en Droit, n’est-ce
pas?"
"Serrandi. Oui, en Jurisprudence. Et également en Langues."
"Avec qui vous êtes-vous diplômé en Droit?"
"Alors, en Jurisprudence. Attendez, mais vous savez que je ne m’en
souviens pas? Ah si, avec quelqu’un du nom de Dupont. Un type... Je vous
dis pas...Imaginez qu’une fois..."
Quand j’ai dit avec qui, je voulais dire avec quelle spécialité."
"Avec quelle spécialité, me dites-vous... Avec la spécialité...
la spécialité classique en Jurisprudence, évidemment."
"Et quelle est la spécialité classique en Jurisprudence?"
"...Droit..."
"Droit quoi?"
"Droit... certitutionnel… "
"Droit certitutionnel? Mais qu’est-ce que vous racontez?"
Le gros visage de Serrandi était devenu violâtre. Il commença à
toussoter et à se racler la gorge. Puis il fit semblant d’avoir entendu
sonner son portable et s’excusant d’une voix aphone, alla dans le
couloir, où il improvisa à voix haute une conversation téléphonique
avec un fantôme. Quand il revint, il était de nouveau tout joyeux et
commença à parler d’un de ses clients, un fameux cardio-chirurgien
anglais, qui l’avait invité à prendre le thé à cinq heures. Et
étant donné que les Anglais ne tolèrent aucun retard, spécialement
pour le thé, il valait mieux se dépêcher.
"Comment s’appelle-t-il votre cardio-chirurgien?"
"Ohé, il n’a rien de mon cardio-chirurgien. Touchons du
bois. C’est un de mes clients. Pas moi un des siens", dit-il sur un
ton malicieux. Mais le sourire s’évanouit sur ses lèvres quand Massimo
lui répéta: "Comment s’appelle-t-il?".
"Euh... il s’appelle... Smith. Professeur Smith, de Londres."
"Si j’ai bien compris, vous vous diplômez sous la direction d’un
certain Dupont, votre meilleur client s’appelle Smith. Je parie que vous
connaissez également le professeur O’Hara de Dublin et le docteur Popov
de Moscou, pas vrai?"
Serrandi n’arrivait même pas à saisir la plaisanterie, mais avec l’air
de qui, écumant de haine, est obligé de sourire au grand-père sévère
qui est sur le point d’arrondir ses étrennes, il s’assit de nouveau.
Puis il sembla avoir une idée subite, lança à Massimo un regard
farouche et commença à sortir une copie du contrat déjà signé.
"Et en Langues? En quelle langue êtes vous diplômé?"
Les yeux de Serrandi devinrent un instant rouge de colère et sa bouche
prit un pli cruel. Il ne résista pas et éclata, même si sa réplique n’était
pas dénuée d’une touche de patiente bonhomie.
"Veuillez m’excuser, mais qu’est-ce que vous me voulez?"
"Moi, rien. Ce n’est tout de même pas moi qui vous ai fait part de
mes voyages, de mes préférences culinaires et de mes diplômes. Et
finalement dépassé l’embarras des débuts, je m’intéresse aux
sujets les plus chers à vos yeux, et voilà que vous vous vexez?"
"Non, je vous en prie. Il m’en faut un peu plus. C’est juste que
je suis légèrement pressé..."
"Je ne vous ferai pas perdre de temps, je vous le garantis. Je vous
demandais juste en quelle langue vous étiez diplômé."
"J’ai étudié un peu toutes les langues. Vous savez comment c’est,
quand on a des facilités. Et puis, étant amené à voyager..."
"Moi, je parlais de celle du mémoire, probablement la langue
dominante dans votre cursus, à moins que pour chacune d’elles vous n’ayez
fait un cursus complet?"
"Pour chacune, pour chacune. C’est simple, de toute ma vie je ne me
suis jamais investi comme pour ce diplôme. J’en ai même fait une
dépression nerveuse. Bon, maintenant il faut vraiment que j’y aille",
conclut-il la voix tremblante. Deux petites gouttes de sueur tombèrent
sur sa veste de feutrine bleu ciel, l’une après l’autre.
"Vous voyez, monsieur Saracinesca..."
"Serrandi!" dit-il en hurlant et les yeux exorbités, "...
C’est pas bientôt fini cette plaisanterie du nom de famille? On est pas
au cinéma ici, et vous n’êtes pas Toto! Serrandi, si vous ne l’avez
pas encore compris. Ou plutôt, Docteur Serrandi, ne vous déplaise!".
"Allons Docteur... c’est à vous d’en finir. Et actuellement, en
philosophie, quelle est votre spécialité?
"Pourquoi? Pourquoi?? Que voulez-vous dire? Hein? Qu’est-ce que
vous me voulez? Vous savez que la Champyon Edizioni et la Sisthematic
Multimedial ne prennent même pas en considération les titres des
diplômés? Oui: philosophie. Et alors?"
"Ne vous vexez pas. Je suis convaincu de ce que vous affirmez. Entre
autres, parce que je n’ai aucun doute sur le fait que la Champyon
Edizioni et la Sisthematic Multimedial, à supposer qu’elles existent, n’acceptent
que des diplômés en Droit certitutionnel et en Pot-pourri de langues. A
propos, votre mémoire de philosophie, sur quoi portera-t-il? Sur les
li-monades de Leibniz?"
Serrandi se leva comme une furie, remit dans sa poche le contrat en
chiffon, ferma son sac et se dirigea vers la porte d’entrée à grands
pas sonores. Puis il cria: "Nous nous reverrons au Tribunal!",
et il claqua la porte avec fracas.
Massimo resta un moment assis en silence. Il se leva ensuite et alla dans
le couloir, directement vers la porte d’entrée, mais vit soudain
Serrandi affalé dans un des fauteuils du vestibule, visiblement en proie
à quelque malaise.
"Je vous croyais sorti" dit Massimo d’un ton inexpressif.
Serrandi, d’une voix éteinte, lui répondit: "De l’eau. S’il
vous plaît, un verre d’eau".
"Vous ne préférez pas du thé? Il me semble en effet que le rituel
des cinq heures avec le cardio-chirurgien anglais soit tombé à l’eau."
[...] Massimo jeta ses feuilles sur la table, se frotta
les mains, les battit bruyamment, et d’un ton définitif, dit:
"[...] je ne vous paie pas".
"Oh que si vous me payez. Autrement, la plainte part aujourd’hui
même."
"Celle-ci aussi part aujourd’hui même. Et c’est une véritable
plainte, pas comme la vôtre", dit Massimo avec calme, lui soumettant
l’autre feuille, celle qu’il avait auparavant tenue fermement avec le
chèque. C’était la photocopie de la lettre recommandée de
désistement du contrat n.6646 conclu le jour précédent, "en
conformité et par effet de l’art.6 de l’Arrêté législatif n.50 du
15.1.92"...
Serrandi grinça des dents comme un chien en colère et brandit un gros
poing qui avait l’air du maillet d’un dieu nordique. Son visage était
violacé et sa chevelure blonde et touffue semblait se hérisser à vue d’œil
comme la crinière d’un lion sorti de ses gonds.
"Si vous posez la main sur moi, il me suffira de hausser la voix pour
appeler mon voisin. Dans la vie, il est commissaire de police, mais
peut-être pourrait-il être intéressé par vos programmes d’édition
électronique. Qui sait. On ne peut jamais savoir. A condition bien sûr
que vous ne me cassiez pas la figure."
Serrandi était dévasté.
Proseguir la lectura
M. Corte, Le
masque
"Pourquoi ne l’as-tu jamais aimé, maman?, dit Ale
d’une voix tremblante.
"Parce que c’est un tiède. Un peureux. Un mort. Et toi tu
ne..."
[...] "Ce n’est pas vrai, maman. Il est vivant. Et Aurora aussi est
vivante. Et moi aussi..."
"Toi, tu es comme moi, pas comme lui."
Ale, qui avait commencé à sangloter, répéta:
"Pourquoi ne l’as-tu jamais aimé? Pourquoi?"
[...] "Ce que je ne comprendrai jamais, c’est pourquoi tu l’as
choisi. Pourquoi justement lui?"
"Maman..."
"Pourquoi? Réponds-moi, mon enfant. Pourquoi?", la pressa la
mère prenant subitement un ton implorant.
"...Maman...", sussurra à nouveau Ale, et instinctivement elle
allongea la main dans sa direction comme à vouloir lui ôter un masque.
"Pourquoi?" répéta la mère en se reculant, alors que sa figure,
tantôt stupéfaite, se décomposait maintenant.
[...] "...Parce que...", commença Ale sans réussir à achever sa
phrase...
Puis, pendant que l’obscurité se répandait dans la cuisine, et que de la
voix de la mère, il ne restait qu’un écho rythmique et assourdi, dans le
bredouillement des pleurs, elle réussit à dire:
"...il m’aime".
Proseguir la lectura
M. Corte, Samuel Serrandi
Massimo commença à éprouver un sentiment fondamental
qui montait des profondeurs. Il ne s’agissait ni d’exaspération, ni
de dédain, ni de solidarité. C’étaient là des expressions de
journaux télévisés. Vides. Elles n’exprimaient rien que la
rhétorique rebattue d’une société qui ne parvient pas à éprouver de
sentiments, et en remâchonne alors des contrefaçons pleines de
maniérisme. Non: ce qu’éprouvait Massimo à ce moment là était une
chose bien différente. C’était un sentiment innocent à en sembler
diabolique, naturel à en sembler dépravé, humain à en sembler bestial.
C’était de la haine. Et alors que les structures qu’il avait
intériorisées, de l’éthique, du bon sens, de la religion, de la loi,
de la civilité martelaient contre lui leurs slogans condamnatoires, il
était rivé à cette terrible découverte que la haine n’est absolument
pas le contraire de l’amour, mais une dramatique phase défensive pour
arriver au pardon, et de là à l’insaisissable amour pour son prochain.
Prochain qui dans ce cas précis s’appelait Samuel Serrandi. Docteur
Samuel Serrandi. Une lumière glacée dans les yeux, il se préparait à
attendre. Parmi les potentiels clients des indispensables "programmes
spéciaux d’édition éléctronique", il était là, lui aussi.
[...] Il avait résisté, soutenu par le mystérieux sentiment qu’il
avait dans un premier temps appelé haine, mais que depuis quelques heures
il avait avec plus de justesse commencé à définir comme un "instinct
de conservation". Conservation de l’espèce des innocents, qu’il
valait peut-être la peine de considérer protégée, comme certaines
espèces animales, parce qu’elle aussi en voie d’extinction. Les
Serrandi ne sont pas seulement aux Limandi ce que sont les chasseurs aux
chevreuils, car dans la lutte entre les Serrandi et les Limandi, les
premiers peuvent jouir d’un public en théorie hostile, mais de fait
tolérant, sinon tout à fait amical. C’est aussi pour cette raison que
Massimo n’avait parlé à personne de sa découverte. Pour ne pas
exposer Luigi à une honte que sa mort elle-même aurait entérinée au
lieu d’atténuer (il imaginait déjà les commentaires des amis et des
collègues: "Eh ben, il est vraiment abruti pour s’être fait avoir
de cette façon"... "Il l’a vraiment cherché..." "C’est
à ajouter au livre des records: la mort la plus crétine du siècle...");
mais également pour ne pas transformer la fourberie de Serrandi en une
espèce de mythe, il se peut négatif, mais cependant toujours un mythe,
au regard de l’imbécillité de Luigi; et pour ne pas lui laisser ne
serait-ce que l’honneur d’avoir été le bourreau sournois d’un
condamné bêta.
Proseguir la lectura
HOME
|
 |